Intervoix 34

ÉDITORIAL

En ces temps de résurrection pascale et de renaissance printanière, permettez-moi un instant de me détourner du contexte morose et pessimiste dans lequel les médias nous enferment.
Il existe encore des espaces lumineux et accueillants ! Comme, par hasard, j’écoutais la radio un dimanche soir, je fus happée par une voix féminine joyeuse et solennelle parlant du « Palais de Dieu »[1] de « ce lieu emblématique de la culture ». Je tendis l’oreille. Oui, j’étais bien sur France-Culture, à Notre-Dame de Paris, en direct de la 5e conférence de Carême dédiée cette année au thème de la Culture[2]. La conférencière était Claire Daudin, écrivain, spécialiste de Péguy et Présidente de l’association éponyme L’Amitié Charles Péguy.

Reprenant les idées du poète dans son Dialogue de la cité harmonieuse[3], elle voulait démontrer l’intérêt de la littérature dans le monde d’aujourd’hui.
Il est des lieux de culture privilégiés comme l’école, les bibliothèques mais, remarquait-elle, on ne saurait sous-estimer l’importance des colloques autour des auteurs et des œuvres, qui permettent d’entretenir leur mémoire, de les faire vivre en les sauvant de l’oubli, leur seconde mort. De plus, ces réunions en France ou ailleurs donnent l’occasion de rencontrer le semblable ou l’autre dans une communion fraternelle et spirituelle, au-dessus des frontières, des conflits et des haines, havre prémonitoire de la Jérusalem céleste. Il y a, certes, de l’utopie dans ces propos. Mais c’est tellement dans la ligne de ce que nous recherchons dans notre Association européenne François Mauriac parente en quelque sorte de celle de Charles Péguy :

Nous voulons présenter [la littérature] comme une pratique vivifiante, qui crée des liens au-delà des frontières, de l’espace et du temps. Les œuvres sont des lieux d’accueil pour l’humanité ; elles édifient une cité où il fait bon vivre ; elles permettent des retrouvailles avec le semblable comme la découverte de l’autre, dans une communion sans conflit ni exclusion[4].


Cette idée de créer des liens, de construire des ponts, de suivre des chemins fait surgir en moi tout à coup deux images venues d’un lointain passé. D’abord celle du Pont du Gard, toujours debout, aqueduc romain contemporain des débuts de l’ère chrétienne, construit en l’an 19 avant J.C., qui alimentait en eau la ville de Nîmes en franchissant le Gardon. Il a fonctionné près d’un millénaire et attire encore aujourd’hui des foules de touristes du monde entier. C’est qu’en même temps qu’une prouesse technique visant l’utilité, les ingénieurs, architectes et bâtisseurs romains ont édifié un chef-d’œuvre architectural splendide, capable de défier le temps. Tant de mains humaines coordonnées en un ouvrage unique !
La seconde image se rapporte à des temps archéologiques bien antérieurs ; elle concerne les artistes magdaléniens, chasseurs nomades, qui au cours de leurs migrations marquèrent leur passage au fond des grottes ou sur la pierre nue, gravant, peignant ou sculptant, de l’Atlantique à l’Oural, des motifs parfois si semblables qu’ils invitent les archéologues à enquêter sur des rencontres, des relations, des influences possibles à travers ces vastes espaces qu’on appelle de nos jours l’Europe. Ces hommes ont transcendé la matière par l’art et par l’esprit ; ils ont posé en des temps reculés les prémices d’un patrimoine culturel commun autour duquel nous nous rassemblons.
Combien aujourd’hui ces idées sont-elles encore d’actualité ! La destruction des colonnes de Palmyre émeut la terre entière. Ni l’espace, ni le temps, ni les langues ne sont des barrières étanches aux nouvelles migrations.
On pourrait méditer longtemps sur ce thème de la littérature, de l’art et de la culture comme trait d’union des peuples, « parce qu’il ne convient pas qu’il y ait des hommes qui soient des étrangers[5] »

Mais revenons au présent avec ce 34e numéro d’Intervoix qui fait le lien entre le colloque de Metz, si riche, et le mini-colloque prometteur d’Amsterdam : Dialectique de l’image : de l’âge d’or à la modernité ; beau programme qui évoque la lumière si caractéristique de la peinture flamande, que ce soit celle de Vermeer, Rembrandt ou de Van Gogh, ou celle de l’intelligence représentée par Erasme, ou bien encore le rayonnement de ce port, foyer, refuge et lieu de passage de tant d’artistes au cours des siècles.

Le recueil des Actes de Metz, déposé à l’Harmattan début avril, paraîtra d’ici juin. Ouvrage collectif de 24 participants, originaires de 14 pays d’Europe et d’ailleurs, il a réussi à combiner une unité et une variété remarquables sur le thème de la Nostalgie.

Enfin ce numéro d’Intervoix rend hommage à quelques-uns de nos auteurs favoris : Andreï Makine élu en mars à l’Académie française, Sophie Germain et Roger Bichelberger que leurs dernières publications ont mis à l’honneur ce printemps.
Françoise Hanus



IMAGE PORTUAIRE

De Cancale à Amsterdam.


En nous promenant dans le port de Cancale en ce mois de février 2016, la pluie et le vent glacé nous incitent à entrer dans une galerie de peinture. Le ciel bleu sur les toiles et l’un des murs peints en rouge nous réchauffent le cœur ; de même le regard sensible et attentif du peintre peu loquace ; il nous observe, nous paraissons intéressés et il attend nos réflexions sur ses œuvres, nous posons quelques questions, il répond sans fanfaronnade, de façon discrète voire inquiète, ce n’est pas un commerçant, c’est un artiste, un observateur au regard aiguisé et mélancolique à la fois. Ici et là, quelques Mont St Michel à des heures différentes du jour, quelques bateaux avec des reflets dans l’eau, quelques jeunes filles, le tout dans des tons aériens, d’une grande pureté de lignes…

Assez vite, notre regard se pose dans un coin de la galerie sur un groupe de marins vus de dos, le verre à la main, tournés vers le plus audacieux qui a enlacé une jeune femme au son de l’accordéon et se met à la faire danser. Nous pensons à la chanson de Jacques Brel Dans le port d’Amsterdam que Pierre aime évoquer depuis que l’on sait que le prochain mini-colloque aura lieu dans cette ville mythique.
Sur la toile, le lieu n’est pas évoqué, seuls des marins, des verres, un accordéon, une jeune femme aux cheveux roux.
Est-ce un dénominateur commun à tous les ports ?
Des marins, le verre à la main, rêvant de faire danser une jeune femme ?

Cette toile nous fait penser à Amsterdam !


Marie-Cécile Schroeter




Mini-Colloque d’Amsterdam du 2 au 6 juillet 2016
Dialectique de l’image : de l’Age d’or à la Modernité


Résumés des communications (dans l’ordre du programme)
L’image, l’œuvre et la réalité
1 ROEDERER Christiane (France)
Les traces indélébiles d’une abeille
Desiderius Erasmus van Rotterdam (1469-1536) : « Abeille laborieuse et témoin engagé » selon Jean-Claude Margolin (1923-2013) professeur de philosophie à Tours, fils d’immigré russe et de mère vosgienne.

Quatre cents ans les séparent. L’un a consacré sa vie à l’autre. Il y a sans doute de bonnes raisons, ne serait-ce que leur passion commune pour la philosophie, l’attachement à l’humanisme occidental, tant Margolin fut marqué par les épreuves de la dernière guerre mondiale.
Erasme de Rotterdam, précepteur de l’Europe, prince des humanistes, fut tour à tour éditeur, traducteur, commentateur, prosateur et poète. Son œuvre a traversé les siècles et demeure une source inépuisable de réflexions. Né à la fin d’un tragique XVe s. à l’entrée d’un non moins tragique XVIe s. fait de guerres, de famines et d’épidémies, Erasme est contemporain de Gutenberg dont l’invention lui permettra de diffuser ses écrits, ainsi que de Christophe Colomb et de la découverte de l’Amérique en 1492, autre date pour signer la fin d’une époque et le commencement d’une ère nouvelle.
Trois monarques ont marqué l’histoire de l’Europe et l’existence de notre héros : François 1er qui a ouvert les châteaux forts aux lumières de la Renaissance italienne ; Henri VIII d’Angleterre, le cruel Barbe bleue de la légende, assassin de deux de ses cinq épouses et de son chancelier Thomas More, ami d’Erasme ; mais son Roi est Charles-Quint, né également aux Pays-Bas dont l’Empire s’étend sur une grande partie de l’Europe jusqu’à se heurter à Soliman le Magnifique.
Erasme est un enfant de l’Europe, un témoin engagé du schisme induit par Luther, une « abeille laborieuse » à un moment crucial de la pensée ; celui qui aide à devenir Homme par l’étude des Hommes :
« L’Homme ne fait pas l’homme, il le devient ».
Erasme est avant tout un humaniste – celui qui cultive l’amour des livres grecs et latins révélateurs du savoir, de la beauté, de la sagesse. Soulignons que le mot n’était pas utilisé du temps d’Erasme. Par l’Allemagne, il entre dans notre vocabulaire au XIXe s. dans le souci d’un retour aux Sources. Encore un !
Prince des humanistes, Erasme fait partie de la République des Lettres qui réunit les plus grands esprits de l’époque dont l’influence ne s’éteint pas ; il est aussi prince des épistoliers, heureuse et dévorante passion de l’époque.
C’est à Bâle en 1514 qu’il rencontre Beatus Rhenanus né à Sélestat/Alsace. Se noue alors une amitié de papier jusqu’à la mort d’Erasme :
« Bienheureux Beatus pour avoir réuni en lui les plus belles qualités de l’esprit et du cœur ».

En ce XXIe s. ce Géant a-t-il définitivement replié ses ailes ? Ou au contraire retrouvera-t-il sa place dans notre société lorsqu’elle consentira à se pencher sur son épaule pour relire L’éloge de la folie ?

2 FELTEN Agnès (France)
Images romantiques européennes : l’influence de Byron chez Nicolas Beets et Alfred de Musset au cœur de la création


La notoriété de lord Byron est établie depuis longtemps. Cet illustre romantique a insufflé un vent de rébellion dans les lettres de cette époque. Ses écrits ont fortement influencé l’Europe tout entière et il n’est pas inutilement mort en se battant pour délivrer la Grèce. La France a particulièrement été sensible à ses écrits, et Musset notamment. Ce poète cite souvent son illustre prédécesseur dans ses textes. Ses hommages appuyés montrent la grandeur du lord. Sa renommée est allée jusqu’en Europe du Nord où Nicolas Beets a accueilli favorablement le grand auteur. Il a, d’ailleurs, effectué quelques traductions des plus célèbres pages byroniennes. Le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui est celui des images romantiques récurrentes et présentes chez la plupart des auteurs en Europe à cette époque. L’étude des topoï romantiques, dans certains poèmes de nos auteurs et dans les œuvres de jeunesse, va permettre de mettre en évidence les différentes influences.

Nous nous intéresserons aux différentes images présentes chez ces trois auteurs et nous tenterons d’analyser les ressorts de la création artistique. Quelles sont les différentes images qui vont nous intéresser ici ? Il s’agit d’observer toutes les références aux paysages, toutes les allusions mythologiques et tout ce qui constitue vraiment l’esprit romantique. Nous étudierons aussi les images satiriques presque caricaturales qui restent un élément fondateur de ces discours imprégnés de critiques diverses. L’auteur hollandais par exemple, avoue, qu’il s’est inspiré de son entourage pour camper des personnages hauts en couleur dans son livre la Camera obscura, paru en 1839 en pleine période romantique. Le livre conçu pour rendre hommage à l’invention miraculeuse considérée comme l’ancêtre du cinéma est une vision peu amène de ses contemporains. Les images réalistes inventées par nos auteurs sont en quelque sorte les ancêtres de notre cinéma. Les deux langages sont liés. Et les Romantiques ont surtout influencé les peintres. L’image romantique suit un cheminement du texte jusqu’à la peinture pour initier un art nouveau, en rapport avec la camera obscura.



3 HOGENHUIS Anne (France)
Amsterdam, lieu d’accueil de la culture russe
Les liens commerciaux anciens, débouchant sur le séjour de Pierre Le Grand dans les environs d'Amsterdam devaient ouvrir la porte à une coopération intellectuelle importante et l'invitation à St Pétersbourg d'ingénieurs et de savants. Les liens culturels traditionnels se sont renforcés au cours du XXe siècle, lorsque la ville accueille de nombreux intellectuels en quête de liberté et que son Université devient un haut lieu de la slavistique. Une rencontre avec Brodsky allait souligner de façon émotionnelle ce lien patrimonial. Vingt ans plus tard, il se matérialise de façon éclatante par l'installation, en un lieu magnifique de la ville, d'une première succursale européenne du musée de l'Ermitage.


4 HECHAM Claude (France)
Images et symbolique de la Hollande. A travers quelques pages de Paul Verlaine
Entre le 11 août 1892 et le 17 janvier 1893, Verlaine fit un long séjour à l’hôpital Broussais à Paris. Le peintre Philippe Zilcken l’invita en Hollande et le reçut lors de sa tournée de conférences début novembre 1893 à La Haye, Leyde, Dordrecht et Amsterdam.

Dès son retour , il publia, pour remercier ses hôtes, le récit de ses Quinze jours en Hollande. Avec sa verve et son ton familier, ce récit nous restitue l’atmosphère des salles de conférences aussi bien que celle des salles de restaurant où le poète, élu depuis peu prince des poètes, goûta le meilleur de la gastronomie hollandaise et la chaleureuse admiration des artistes et des amateurs de poésie française.

Du train, il a vu les canaux, le ciel immense, et c’est une image que rappelle le poème Gens de la paisible Hollande (Dédicaces, XXXVIII). A Amsterdam, il est curieux d’architecture et de peinture. La Ronde de nuit de Rembrandt est pour lui le sommet de l’art. Les édifices symbolisent la logique et le baroque à la fois. Comment ne pas penser à la Hollande que Baudelaire avait désignée comme un pays de cocagne ?
C’est ainsi, me semble-t-il, que Verlaine allait, des mots à l’image et des images aux symboles, terminant le poème cité supra par ce vers unique :

Ô votre ciel, fils de Rembrandt!

5 JAMMAL Nadia ( Liban)
Amsterdam dans l’imaginaire de Camus
Lire La Chute à la lumière de Dante - ce que fait Clamence, le personnage-narrateur -permet d'établir une relation entre les canaux d'Amsterdam et les cercles de l'Enfer, mais également de lier les déambulations du personnage et de son interlocuteur à l'errance de la mémoire et à l'errance en soi-même.


L’Image et la lumière dans la peinture et la littérature
6 ZSAK Helga (Hongrie)
Rubens et Corneille
Deux génies foisonnants de l'ère baroque jaillissent au début du XVIIe siècle, période charnière qui voit la naissance de l'Etat de droit en France. Passions, consolidation du pouvoir s'entremêlent chez ces deux artistes remarquables parmi leurs contemporains et qui auraient pu se croiser lors du séjour du peintre flamand à Paris, pour la création des tableaux dédiés à Marie de Médicis. Ces deux arts différents complètent la fresque de l'époque, où se mêlent sentiments, mythologies, apologies des souverains, en un reflet scintillant des grandes passions qui mènent à l'éclosion de la maîtrise et du devoir.

« Le réalisme d'un art », selon l'analyse de Barthes, « renvoie fatalement aux cadres mentaux qui l'accueillent[6] », et cette affirmation s'applique à la peinture de Rubens et aux tragédies françaises de l’ère baroque du début du XVIIe siècle. D’une part, exubérance, passion, amour de la vie caractérisent l’art de ces deux génies contemporains. Leur œuvre reflète la vitalité et le mouvement de la période, la force et l’enthousiasme des personnages peints ou mis en scène. D’autre part, comme pendant à cette « hubris impie[7] », cette démesure, la consolidation de l’état de droit, du pouvoir est une thématique qu’ils déploient dans leurs œuvres, miroir des mentalités de la nouvelle société naissante.


7 PARRY Margaret (Grande-Bretagne)
L’art et la lumière : Vermeer vu par trois romanciers
A partir du contexte mauriacien, ma communication présentera la lumière comme critère essentiel de tout art qui prétend à un objectif spirituel. Composant naturel de la peinture – selon la critique, la lumière est le sujet même de Vermeer, et il ne s’agit pas de n’importe quelle lumière – il en est tout autrement, semblerait-il, pour le romancier coincé dans les mots, signes matériels qui occupent l’espace transmetteur de lumière. Est-ce là le secret de l’attrait des trois romanciers représentés pour la peinture de Vermeer - un désir d’émulation, mais selon les moyens qui leur sont propres ? Qu’est-ce qu’ils infuseraient du peintre pour transcender la limitation des mots et atteindre aux plus hautes exigences de leur art ?

8 IVASSIOUTINE Taras (Ukraine)
Biographies imaginaires de Van Gogh et de J. Roulin par Pierre Michon
Il existe une riche littérature sur la vie et l’œuvre de Van Gogh – célèbre peintre et dessinateur néerlandais. Avec sa nouvelle Vie de Joseph Roulin Pierre Michon s’est intéressé lui aussi à une partie de la vie de Van Gogh passée en Arles. Tout en y peignant de nombreux paysages, il souhaitait se consacrer également aux portraits. Il recherchait donc un modèle et c’est ainsi qu’il a rencontré le facteur Joseph Roulin, son voisin, qui fréquentait comme lui le café de la Gare. On ne sait pas grand-chose sur Roulin, quelques dates (1841-1903), quelques lieux (Lambesc, Arles, Marseille), quelques penchants (l’alcool, la République), et les tableaux, les six portraits dont l’un fut donné au modèle. Ces maigres renseignements suffisent pourtant à Michon pour donner corps et vie à J. Roulin. Le livre commence par l’évocation des motifs de l’arrivée de Van Gogh et Joseph Roulin en Arles en 1888 : « L’un fut nommé par la Compagnie des postes...et l’autre y vint... parce qu’il fuyait » [Vie de Joseph Roulin, p. 9]. On peut y trouver quelques détails biographiques : la description des deux dernières années passées par J. Roulin en Arles, la correspondance entre les deux frères Vincent et Théo et puis la dernière lettre d’Adeline Ravoux faisant part à Roulin de la mort de Van Gogh.
Ce qui intéresse particulièrement Michon, c’est la position de témoin du facteur, son regard sur le mystère de l’Art qu’il ne comprend guère. Roulin est juste un spectateur abasourdi de la « besogne catastrophique » qui s’accomplit sous ses yeux.

En guise de conclusion, il importe de souligner que la ville d’Amsterdam où se déroule notre rencontre a joué aussi un rôle considérable dans la vie de Van Gogh. Il suffit de mentionner qu’il habita pendant plus d’un an à Amsterdam chez son oncle Johannes van Gogh. C’est ici que se trouve le Musée où est exposée la plus large collection de son œuvre – près d’un quart de la production totale du peintre (Van Gogh a peint plus de huit cents tableaux en dix ans).

9 SIMON Georges (Roumanie)
La leçon de Vincent
I. Le Missionnaire

Il y a un tableau Jeune fille dans la forêt où Van Gogh a tracé l’initiale de son prénom, V, incrusté dans l’écorce d’un arbre, comme un signe d’entrée dans la vie, une trace et une blessure, dans la forêt des symboles ; un lien paternel avec son grand-père, dont le nom et prénom vont être portés, comme un avatar, toute la vie, par l’artiste ; et, bien sûr, le commencement de la Vie éternisée, de la Victoire sur soi-même, un vainqueur qui a suivi son destin, comme un don de Dieu et non pas comme un don aléatoire. Il signe, simplement, ses tableaux : Vincent. Toute sa vie a été une lutte acharnée pour connaître et se connaître, faire s’exprimer, comme en une résurrection, son frère Vincent, mort, un an jour pour jour avant sa naissance. Dans le même tableau, où trois troncs d’arbres trônent, tout au fond, en arrière, on peut distinguer, séparées par un petit arbre, comme une bougie blanche, deux figures, dont l’une est vivante et l’autre a l’air d’être le spectre de son frère, Vincent. Devant ses parents, le Vincent vivant, n’est que le souvenir de l’autre Vincent décédé prématurément. Le spectre de son frère l’a suivi toute sa vie, jusqu’à la fin, où on peut lire son prénom sur une boîte sépulcrale, dans un coin de la Chambre jaune, décorée, pour son ami, Gauguin :

Un intérieur sans rien (…) J’aurais voulu exprimer un repos absolu, par tous ces tons très
divers (…) où il n’y a de blanc que la petite note que donne le miroir au cadre noir.

Cette chambre se trouve dans la Maison jaune, la maison des amis, où Vincent attendait Gauguin et voulait inviter les artistes qu’il aimait. Les deux artistes échangent entre eux leurs Autoportraits. En plus, Vincent peint le Fauteuil de Gauguin et La chaise de Vincent et sa pipe. Tous les deux inoccupés, dans l’attente d’une amitié partagée.
C’est la raison de ses gestes inattendus, par lesquels il voudrait prouver sa présence, qui n’est pas un fantasme. Chaque fois, comme un karma, il rencontre le refus : de se marier, être abandonné de ses parents, de ses meilleurs amis, comme un être toujours incompris, difficile, hermétique et imprévisible. C’est ici que se passe la rupture. Exaspéré et exténué, Vincent, à la limite, se coupe l’oreille, un geste extrême, pour prouver sa solitude et son amour comme le soleil solitaire lui aussi. L’art doit parler aux simples et leur apporter une consolation, sinon par les paroles, au moins par les couleurs.
Il a été un homme de lettres avant d’être un peintre des couleurs, un créateur d’art. L’Évangile a été sa lecture permanente, son livre de chevet :

la Bible brûlait ce cerveau de Hollandais. À Arles, les quais, les ponts et les bateaux, tout le midi devenait pour lui la Hollande. (Gauguin)

Il l’a prêchée, chaque fois, comme dans sa famille l’avait fait son père et ses trois oncles pasteurs. Son talent d’écrivain s’est prouvé dans les lettres adressées à son frère Théo : disciple, compagnon et témoin. Une correspondance qui est célèbre par les aveux, par les conseils, avec son frère et ses amis. En attendant Gauguin, il prépare une chambre idéale, sacrée, pour que l’Esprit même descende et bénisse leur création.
La leçon de Vincent c’est, d’abord, un accomplissement de la vie, qui se révèle dans sa plénitude, comme Lumière d’un instant, la lumière de la foi, du premier instant, à l’aube d’une promesse que Dieu Créateur a faite à l’homme, par la voie de la foi et comme fruit de l’amour. Mais, paradoxalement, c’est l’homme qui n’est pas conscient de cette beauté, il refuse de voir et de se voir, dans la lumière éternelle. La vie n’est pas une esquisse, une ébauche, une copie, mais, au contraire, la Vie est, pour Vincent, une Épiphanie. C’est la Lumière qui, elle seule, s’écrit et fait se réveiller, dans nos âmes, le secret sacré de la Vie :

Plutôt que de m’abandonner au désespoir, j’ai choisi la mélancolie active…celle qui espère, qui désire et qui cherche. Cherchons à comprendre la parole définitive continue dans les chefs-d’œuvre des grands artistes, des vrais maîtres et l’on y trouvera Dieu.


II. Le Visionnaire

Sans renoncer à sa quête spirituelle. il voyage beaucoup, il change de routes, de villes et d’ateliers, en cherchant chaque fois à saisir les gens sur le vif, chez eux, dans leur dur labeur ou dans leur simplicité, fidèles à leur mission. Le Peintre veut trouver et comprendre le secret de leur vie, comblée, lourde : la lumière intérieure que les pauvres savent garder dans leur cœur. Très convaincu de sa mission, il voulait apporter son aide aux souffrants.
Vincent devient Vincent, dans la lumière de l’Esprit qui n’a de siège que dans les âmes. L’incessante Lumière, qui devient jour, seulement dans les cœurs pris par l’amour ; c’est la lumière qui devient esprit, décelable dans les visages illuminés, comme les fleurs du soleil : Les Tournesols de Van Gogh. Ainsi que l’Esprit, la lumière naît d’elle-même. La lumière c’est l’ininterrompu, la genèse incessante et personne ne pourrait l’arrêter. On n’oublie pas la définition que Vincent en a donné : La lumière c’est la souffrance des couleurs. Les 35 Autoportraits de Van Gogh sont autant de réponses qu’il donne à une interrogation sans fin : qui suis-je ?
Son interlocuteur permanent c’est son frère Théo, qui incarne, par son prénom, la présence de Dieu. C’est à Lui qu’il se confesse sans intermittences. Même l’oxymore nature morte s’anime et se personnalise par la signature, comme une empreinte inexorable : Vincent.

10 NAZAROVA Nina (Irlande)
Un dîner décadent (Daniel Koch)

D'un ton léger et plaisant, l’écrivain Néerlandais Herman Koch nous invite à la table d'un restaurant chic, à Amsterdam. Deux frères et leurs épouses y ont rendez-vous. L’un est professeur en disponibilité, le second pressenti pour être le prochain premier ministre du pays. Au fil du repas, ils parlent tranquillement de choses et d’autres. Hors d’œuvre, entrée, plat, dessert…
Ça sent la comédie piquante, le règlement de comptes en huis clos. Herman Koch invite dans un premier temps le lecteur à rire de ces gens, pathétiques dans leurs rituels, mais bientôt, le rire se dissipe pour laisser place à l’étonnement, l’incrédulité puis l’inquiétude.
Mais le plat principal transforme bientôt la fiction en roman noir, car le temps d’un dîner, agrémenté de quelques flashbacks soigneusement choisis, deux familles vont sceller leur sort lorsqu'on apprend, entre le dessert et le fromage, la vérité immonde sur les rejetons des deux couples.
Glauque et dérangeant, le dénouement du roman nous laisse avec une poignée de questions sur la parenté et la responsabilité ; sur la morale et le conformisme.







Le coin des poètes
Pensées de Pilinszky
Janos Pilinszky (1921-1981) est l'un des plus grands poètes hongrois du XX e s. Il a reçu nombre de prix littéraires et a publié régulièrement dans les Revues l'Occident, Vigilia et L'Homme Nouveau. Ses œuvres comme Apokrif ou ses épigrammes intitulées Quatre vers peignent l'existence solitaire et de déréliction de l'homme du XXe s. confronté à un monde indifférent. Concernant son Art Poétique, il a ébauché une "esthétique évangélique" qui placerait l'amour comme objet et sujet de l'Art, dans un monde où l'acception classique du terme de Beauté serait caduque.


Van Gogh

1.
Eux se sont dévêtus dans le noir,
se sont embrassés et endormis,
pendant que toi dans l'éclat
pleurais et décantais.


2.
Le crépuscule.
Dans la chaleur tremblante
le soleil s'approchait du papier.
Tout s'arrêta.
Une balle de fer était là aussi.


3.
"Agneau du monde, lupus in fabula
Je brûle dans la vitrine du présent”.


Des Faux Témoignages
La fausseté naît, dans tous les cas, de l’égoïsme, sa destinée est nécessairement limitée. Contrairement à elle, la vérité ne peut perdre que temporairement, sa destinée s’épanouit nécessairement dans l’infini. La vérité n’est jamais impatiente ou violente, elle ne se dresse contre personne. Comment sa nature pourrait-elle remettre en cause son contenu? Sa victoire attend les doux et les patients.

Trad. du hongrois par Helga Zsák.


En revenant du Glacier Blanc
Le glacier croûte bleue
Griffe sur rocher gris de fer
Serre livide aiguë

Son souffle gifle et puis
Dans le gouffre à cascades
Son pur vacarme d'orgue...

Plus bas dans la pinède
C'est un four de résine
Odorante
Qui vous grille, grésille, et d'un coup vous embaume



Le vieux lavoir

L'eau chute et glousse dans la pierre, ô calme
Vaisseau toujours égal

Entre le dur filet qui choit et l'incessante fuite
Aux rigoles des prés

La douce eau perle
À l'instar des étoiles
Et plane, suspendue, basculée
Dans un vibrant vide de nuit



Les chardons bleus

Sous falaises schisteuses
Dans le vallon flétri
Recru de canicule

Ondoient les panicauts
Plumes glacées de bleu
Soyeuses mauves
Becs frissonnants
Pétales en ciseaux d'argent, miroirs du ciel

Et s'envolent, légers
Aux fûts des mélézeins gravides

Marie-Line Jacquet

Souffle


Le vent dans les bouleaux
Mouillés d’avril
Dans les ramilles du printemps
Chargées de feuilles nouvelles
Lourdes et fragiles
Vertes et croquantes
Éclaboussées de soleil

Le vent
Dans les boules des platanes
Secouées et déplumées
Sur les écorces vert de gris maquillées
Dans les feuilles-mains renversées
Froissées pliées dépliées
Étirant leurs doigts
De verdure tendre

Le vent
Dans les longues chevelures
Blondes de deux fillettes
Filant en trottinette
Deux sœurs jumelles
Pareilles silhouettes au vent
Le cœur battant
Dans le souffle du printemps


Françoise Hanus










SUR LES PLAGES DE LA MER DU NORD



Les éléments se déchaînaient
La mer criait.
Le vent hurlait.
La pluie tombait.

Son être était déchiré.
Le corps, courbaturé, noué.
L'âme, torturée, révoltée.
L'esprit angoissé.

Hier oppressée par l'anxiété
Aujourd’hui tout a changé

Les éléments sont en liesse
La mer, tendresse
Le vent, caresse
Le ciel, allégresse.

Son être est unifié
Le corps, souple, léger
L'âme, pacifiée, fortifiée
L'esprit libéré.

Elle a retrouvé la sérénité.
Que Dieu en soit loué !


Monique Mangold






Ecrits de nos membres



Itinéraire d’un enfant d’Afrique de Jean Dib Ndour.

A titre personnel, donc exceptionnel dans le colloque de Metz, un jeune auteur est venu présenter son livre : Itinéraire d’un enfant d’Afrique, publié en 2014 chez l’éditeur AMAZON.FR. Né au Sénégal, le pays de L. S. Senghor, il a vécu l’écriture de son autobiographie comme une thérapie, car sa nostalgie du pays natal et de l’enfance était devenue une maladie. Quelles blessures, sinon celles de l’enfance, deviennent-elles chez l’adulte une souffrance que rien n’apaise ? Par quel chemin l’écriture mène-t-elle l’auteur au seuil de la guérison ?

Le livre raconte, à la première personne, la naissance de l’écrivain. Ce type d’autobiographie a été illustré de nombreuses fois par des auteurs africains, sans connaître un vrai succès, sans doute parce que le côté romancé réduisait la portée de l’ouvrage. Jean Dib Ndour, lui, tout en livrant sa propre expérience, vise d’emblée à l’universel en donnant pour titre à chacun des neuf chapitres un proverbe africain. Le premier d’entre eux exprime avec une apparente simplicité cette nostalgie dont on ne guérit pas :
                                          
Telle une mère, le village natal ne se remplace jamais

Les proverbes, traces culturelles orales, marquent d’un trait de lumière le cheminement de l’auteur dans son retour aux sources. Et il a grand besoin de cette armature pour ne pas se perdre dans le foisonnement des souvenirs.
Dans le sentiment de nostalgie, la place de la mère n’est pas à démontrer, c’est une évidence. D’autres femmes ont marqué le jeune sénégalais, mais chacune de celles qu’il évoque représente un type : la religieuse, l’infirmière, l’institutrice, la bonne. Le portrait qu’il trace de cette dernière est inoubliable et rappelle le réalisme de Zola. D’autres pages de la même veine concernent l’école, la vie rurale, les traditions africaines. Ainsi l’initiation des jeunes garçons est-elle un thème bien souvent évoqué parce que les rites en sont secrets et que le lecteur occidental est curieux de ces mystères. A la cruauté des pratiques se mêle la chaleur des amitiés dont le narrateur est désormais privé puisqu’il vit en Europe.

La guérison, bien qu’improbable, pourrait venir de l’exemple du “vieux”, le père du narrateur, handicapé soigné en France, qui décida un jour de “rentrer”; ou encore de celui des “intellectuels noirs” comme Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, qui jouèrent un rôle politique majeur dans leur pays. Leur maîtrise de la langue française fut un atout dans leur réussite et fut même reconnue comme une source d’enrichissement de notre français de la métropole. Le travail qu’ils se sont imposé pour parvenir à l’expression la plus parfaite de leur vision du monde est invisible mais réel. C’est en poursuivant ce travail que Jean Dib Ndour, dont l’autobiographie tourne fréquemment à l’essai, devrait atteindre à cette maîtrise de la langue française qui est une thérapie.
Claude Hecham



Courriels des lecteurs
A défaut d’un traditionnel courrier des lecteurs qu’on ne saurait qu’encourager à émerger, nous retenons un échantillon de ces échanges spontanés entre lecteurs, plutôt informatifs, mais qui montrent aussi les relations internes et amicales qui relient entre eux les membres de l’association.

Chers amis et amies
Sur la chaîne de télé KTO, je viens de regarder avec grand intérêt Sylvie Germain répondre à l'interview d'Emmanuelle Dancourt dans son émission VIP.
Cette émission repassera lundi à 10h 30 et mardi à 13h15 à l'occasion de la parution chez Albin Michel de son dernier livre : "A la table des Hommes".
Sylvie Germain était présente en 2001 au colloque de l'AEFM, qui lui était consacré.

Par ailleurs, nous avons eu la chance d'assister hier à Nancy à l'interview de Roger Bichelberger par Elise Fischer. Roger, membre de l'AEFM depuis sa fondation, de santé très fragile depuis quelques années, continue d'écrire et son dernier ouvrage, autobiographique, "Si j'avais été riche", paraîtra le 10 mars prochain aux éditions Salvator.
Le premier colloque de l'AEFM lui avait été consacré et avait eu pour titre "Bichelberger, un éveilleur d'aurore".
Bien cordialement.
Marie-Cécile Schroeter


Le message de Marie-Cécile m'a rappelé que plusieurs écrivains connus avaient fait l'objet de colloques de L'AEFM. François Mauriac évidemment, Roger Bichelberger, Sylvie Germain, François Cheng (membre de l'Académie française) et Andréï Makine qui vient d'être élu à l'Académie française. Margaret Parry avait organisé plusieurs colloques dans le cadre des "Rencontres de la Cerisaie" sur l'œuvre de cet écrivain. 
Souhaitons que les émissions et les articles sur ces écrivains incitent certains, et en particulier les étudiants préparant une thèse, à lire les Actes de nos colloques.
Amitiés.
Claude Herly

Cher Claude,
je te remercie de ta lettre et de tes commentaires. Nous sommes très fiers de la reconnaissance de l'œuvre de Makine par l'Académie française et de notre petite contribution à son succès avec nos colloques et publications.
Nina Nazarova




A la table des hommes de Sylvie Germain ( Albin Michel 2015 )
A la table des hommes est un conte fantastique, l'histoire d'un porcelet qui se transforme en jeune homme : un imaginaire ancré dans la réalité de la guerre, celle de toute guerre, qui déverse des bombes sur les villages, fusille les hommes et les jette dans la fosse commune.
Une histoire particulière pour interroger l'évolution de l'animalité vers l'humanité, puisque :

nous avons tous la même origine, nous les vivants, tous les vivants. La terre, les éléments.

Et tous, hommes et bêtes, nous retournons à la poussière.
Comment passer de l'animalité à l'humanité?
Que veut dire "humanité" quand on parle de l'homme?
Comment, pour chacun, devenir sujet?

Comme tout conte initiatique, celui-ci est fait de rencontres. Déjà le porcelet avait dû sa survie grâce à la générosité d'une jeune femme. Et dans les bois, il se lie d'amitié avec une daine, puis une corneille dite Douti, qui l'accompagnera tout au long du livre.
C'est après avoir rencontré dans le bois où il vit, un blessé à l'agonie, après avoir lutté avec l'ange de la mort, que la vie va l'emporter. Il se réveille comme appartenant à l'espèce humaine : "Un homme? Moi ?"

Quatre rencontres vont former son "carré vital" et lui permettre de devenir un homme. Ghirzal le découvre à l'état naturel, nu dans le lavoir du village. Elle couvre la nudité de ce jeune garçon d'une dizaine d'années, de son foulard et de son gilet : geste culturel. Elle le recueille, l'héberge dans sa caravane, ne lui pose aucune question, ni qui il est, ni d'où il vient, ni ce qu'il fait là. Elle le prend tel qu'il est, et lui apprend comment, dans sa culture, s'habiller, se nourrir, se tenir à table. Etre homme, c'est appartenir à une culture avec ses usages et ses coutumes. C'est d'abord et avant tout lui appartenir par la langue. Etre homme, c'est parler. C'est aussi être nommé. Toula, une femme du village le nomme Babel, tant les sons qu'il profère sont brouillés, inaudibles, inintelligibles, chaotiques. Ghirzal accepte ce nom.
Trois autres rencontres conduiront Babel vers l'âge adulte et lui permettront de devenir homme. La seconde rencontre se fait avec Yelnat, autrefois le clown Baldo qui, en magicien, se transformait en ouistiti avant de reprendre forme humaine. Yelnat décide de sauver Babel, quand il voit sa vie menacée par la haine de Tomko, un chef de bande du village. Il l'emmène dans un autre pays, chez Clovis, un ami du temps de leurs combats révolutionnaires.
Clovis sera le troisième repère de Babel et Rufus, le frère de Clovis, le quatrième. Rufus, mélancolique et rêveur, reprendra vie en enseignant à Babel les mots de sa propre langue, car la vie ne peut commencer ou recommencer que lorsqu'il devient possible d'en faire un récit.

Quant à Douti, elle se tient à la fois au sommet, en marge et au cœur de ce carré vital, toujours en va-et-vient, point d'ancrage magnifiquement mobile dans la fluidité du temps.

Avec Zelda, il sera initié à la sexualité. Elle va le baptiser d'un nom qui remonte aux origines, Abel, nom que Babel va accepter, séduit par cette fille "désinvolte et délicate".

Dans un monde où les idéologies se sont effondrées, où la guerre est partout présente, où tout est à reconstruire, Ghirzal, Yelnat, Clovis et Rufus sont des figures bienveillantes qui permettent de ne pas désespérer de l'humanité de l'homme. La guerre ne les a pas déshumanisés, ni les uns, ni les autres. Ces personnes se comportent humainement, malgré la cruauté de la guerre. Babel peut devenir "humain", car il a rencontré sur son chemin l'accueil, la bienveillance et la bonté.
Babel en hébreu, c'est le chaos, Abel, la buée, la légèreté. Au fur et à mesure de ses rencontres avec la bienveillance et la bonté, Babel/Abel devient plus léger, il s'allège de sa boue "adamique" primitive, celle de son avant-humanité.

La mémoire, enracinée dans l'inconscient, est là pour témoigner, non pas d'une fracture entre nature et culture, inné et acquis, mais au contraire d'une continuité. Autour du nom de Douti surgissent les images du passé. Abel reconnaît Douti-la corneille qui toujours est là, et l'accompagne à chaque étape de sa vie. Abel se souvient du lièvre abattu en pleine course, alors qu'il se terrait autrefois auprès de lui sous un buisson. Son corps n'a rien oublié des sensations autrefois vécues dans les bois. Mais quand il revit la scène de sa transformation, il s'évanouit, et perdant conscience, il perd la mémoire. Abel sait qu'en lui, une part de la mémoire est désormais abolie, celle de la lointaine enfance.
"Ce savoir sur lui-même dont il est privé, c'est Douti qui le porte, le détient". Ce savoir est relié aux oiseaux, au cosmos, aux étoiles, car nous sommes constitués des mêmes atomes.

Plus important pour lui que de connaître les noms de ses père et mère biologiques, Abel "traversant le temps à la façon d'un animal parti en transhumance", entreprend de se conquérir, pas à pas, comme sujet, seul, cette fois, en remontant à son Origine, ce "dieu inconnu", cette "trouée que la corneille a ouverte en s'en allant vers le lieu où s'en retournent tous les vivants".
Vivre seul pour Abel, c'est entourer de silence l'irruption du mal qui le prive à jamais de Clovis et Rufus : devant la mort, " l'idiotie effroyable, la haine jurée contre la vie", le mal, on ne peut qu'opposer le silence.
Abel décide de vivre en paix avec sa finitude d'être humain: "il lui suffit d'avoir été aimé par quelques-uns et d'avoir aimé ceux-ci".
Il se veut "décentré", ne se sentir "au centre de rien, ni de la Terre, ni du monde, ni de Dieu", afin de se déposséder de tout sentiment de puissance. Il méditera cette phrase de l'Ecclésiaste :

Prends garde à tes pas quand tu vas vers la Maison de Dieu: approcher pour écouter vaut mieux que le sacrifice offert par les insensés.

Ce livre est aussi une Ode à la nature, un Plaidoyer en faveur des animaux, un Feu d'artifice du langage et de la langue.
Reste à le lire.
Nicole de Broin






Roger Bichelberger présente son dernier livre : Si j’avais été riche

Cher(e) Ami(e)                                                                                            Ce 4 avril 2016

Comme j’ai pris l’habitude de le faire à l’occasion de chacun de mes derniers ouvrages, j’ai le plaisir de venir vous annoncer la parution d’un nouveau livre, une ‘autobiographie spirituelle’ que j’ai accepté d’écrire malgré ou à cause de déboires de santé récurrents. Un livre-bilan ? Certainement. Un livre testament, comme l’a prétendu l’un de mes lecteurs ? La vie nous le dira. Le récit de nos vies, à mon épouse et à moi-même, très certainement. Tout, dans ce ‘roman’ d’une vie, comme dit Elise Fischer, est vrai, aucun nom n’est occulté, et l’humour n’est jamais loin.

Voici le texte qui figure au dos du livre :

Si j’avais été riche, voyez-vous, jamais je ne serais devenu le mendiant de fleurs que j’ai été… C’est vrai que j’ai eu beaucoup de chance en naissant pauvre, juste assez pour pouvoir dire avec Jean Chrysostome ces mots repris par Taizé en un refrain connu : « Ô pauvreté, source de richesse ». Ce que fut effectivement pour moi la pauvreté.
Au cœur de ce monde, la grâce de la pauvreté m’a été offerte pour me préserver du risque de ce qu’Olivier Clément appelle le « somnambulisme ordinaire », pour me permettre de vivre en état d’éveil, de disponibilité.
Roger Bichelberger


Et voici ce qu’en pensent les premiers lecteurs, professionnels ou non :
« Ce livre est un magnifique cadeau de Pâques » (P.T. Normandie)
« Un hymne à la vie et à l’humanité que chacun devrait cultiver. » (C.D. Paris)
« Une joyeuse certitude parcourt ce livre : c’est de nos pauvretés que naissent les plus grandes grâces. » (A.F. Rome)
« J’ai été bouleversé par la lecture de votre itinéraire spirituel. » (P.R. Nancy)
« Merci pour ce livre que j’ai dévoré. Je ne sais pourquoi, mais je pensais aux récits de Marie Noël. » (F.E. Paris)




Recension de Si j'avais été riche de Roger Bichelberger

A l'automne de sa vie, Roger Bichelberger se retourne sur son passé et nous offre la ballade de l'homme heureux dont le refrain est : « Si j'avais été riche... j'aurais été pauvre de l'Essentiel ».
Cet essai qui a vu le jour en plein Carême est un cadeau du Ciel, et nous en avons récolté des plaisirs variés tant par la qualité bien connue de son style, l''humour qui sous-tend le récit, que par l'authenticité des personnages accompagnant notre ami tout au long de sa route. Par ses essais précédents nous connaissons déjà Alphonse, son père, mort beaucoup trop tôt à 38 ans et sa mère, la courageuse Anne-Victoire. Mais aujourd'hui, Roger est passé de l'autre côté du miroir, au-delà des apparences ; la phrase que je cite donne le ton : « On aura compris que tout le village de A à Z vivait au rythme de la religion je n'irai pas jusqu'à dire de la Foi. »
Si j'avais été riche... la première strophe de la ballade est déterminante ; le jeune orphelin entre chez les Frères de Marie au château d'Art-sur-Meurthe, meurtri par la disparition du père, le désarroi de la mère, la misère ambiante. Il vit alors en somnambule le nouveau cours de sa vie ; tout l'indiffère même la religion mais un jour il rencontre un. vrai témoin qui parlait de Jésus Christ comme de Quelqu-un de vivant aujourd'hui : sa Foi apparaît, c'est la rencontre décisive de sa vie.
Si j'avais été riche... deuxième strophe de la ballade, l'entrée de Roger en écriture. Je cite :

Depuis quelque temps sur les pages de carnets bleus tenus secrets j'écrivais... Ecrire allait devenir pour moi, sans que je le sache encore, un chemin de vie.

Muni de son BEPC, il cherche du travail et après beaucoup d'efforts, il a la chance insigne d'être embauché à l'Etude Notariale de Forbach. Si sa survie est assurée, il doit étoffer sa culture, dès lors il vivra plusieurs vies, à la fois clerc de notaire et étudiant. Il va ainsi gravir toutes les marches du savoir, baccalauréat, licence, agrégation de lettres modernes. Il a aussi élargi son paysage littéraire par ses lectures et ses rencontres, la liste n'en est pas exhaustive : Daniel Rops, René Bazin, Pierre L'Ermitte mais aussi François Mauriac, Julien Green, Bernanos, Jean-Claude Renard, Camus, et Dante, et Tolstoï...
La ballade de l'homme heureux s'ouvre aussi sur un conte de fée, car il y a une fée : son épouse Denise ; comme dans le Cantique des cantiques elle fut à la fois la madone, la sœur et l'épouse ; je n'en dirai pas plus pour ménager leur pudeur à l'un et à l'autre, mais au moment des épreuves ils firent front chacun son tour pour les surmonter.
Ils eurent pour amis un couple à leur image. Jacques de Bourbon Busset et son épouse Laurence avaient pour idéal « l'amour fou durable » et le vécurent en réalité. Denise et Roger ne s'enferment pas égoïstement dans leur amour, ils s'impliquent dans la paroisse et s'intéressent à la réinsertion des prisonniers et à l'ACAT.. Leur couple va aussi s'ouvrir à l'éducation de trois petites nièces dont le père vient de décéder. Ils vont veiller sur elles jusqu'à leur vie d'adulte, vont adopter la benjamine et sont aujourd'hui des grands-parents fiers et heureux.
Si j'avais été riche... cette quatrième strophe chante les joies multiples de l'écrivain heureux, du professeur heureux. C'est au lycée Jean Moulin de Forbach qu'il vit sa vocation de professeur et qu'il partage les passions et les interrogations de ses grands élèves à travers le club littéraire qu'il a créé où ils rencontrent ses amis écrivains. Ces derniers sont nombreux à être venus enthousiasmer ses élèves : Jacques de Bourbon Busset, Didier Decoin, Andrée Chedid etc., etc. Merci à Roger d'avoir été pour les jeunes « un homme d'écoute et parfois de doute. »
Je ne parlerai pas de l'ombre tutélaire qui accompagne sa vie, celle de M. Chaminade, fondateur de la « Société de Marie », née au début du XIXe siècle. Elle deviendra par la suite « la famille marianiste » dont Roger deviendra un membre fidèle qui recevra d'elle autant qu'il lui donnera.
La ballade d'un homme heureux se termine par un mot sur « le chrétien qui écrit » comme avant lui François Mauriac se nommait. Je cite « ma Foi ne pouvait être absente de ma littérature… ».
Je n'irai pas plus loin, découvrez à votre tour cette belle autobiographie littéraire et spiritualiste.

Monique Grandjean


La reconnaissance d’Andreï Makine

Election de A. Makine à l’Académie française

Andreï Makine, qui vient d’être élu à l’Académie française est un écrivain secret et réservé qui se fait plutôt rare dans les médias. Longtemps, il s’est considéré comme mal-aimé malgré son triomphe de 1995 qui l’a propulsé sous les lumières avec de prestigieuses récompenses : Prix Goncourt, Prix Médicis et Goncourt des lycéens pour Le Testament français, son 4e roman. Le voici, depuis le 3 mars, consacré, reconnu comme un grand romancier. A 58 ans, il est le plus jeune des « Immortels ». Notons que dans les deux cas, c’est au premier tour et à la majorité que ces distinctions lui ont été accordées.

La presse écrite et télévisée, Figaro, Monde, Express… ont rendu hommage à son œuvre et à sa personnalité. Le 6 mars, dans L’Esprit public, émission culte hebdomadaire de France-Culture, animée par Philippe Meyer dans laquelle des intellectuels et spécialistes débattent de l’actualité de la semaine, François Bujon de L’Estang, énarque, diplomate, ambassadeur, s’est réjoui de l’élection de Makine : bon écrivain, d’origine russe, dans la lignée de Tolstoï, qui lui aussi, écrivait en français mais non reconnu par les siens… « Point de salut hors de la mère-patrie ! » a-t-il conclu.

En ce qui concerne notre association qui réunit tant de membres venus de divers horizons, y compris de l’Est, l’admiration est unanime. Depuis dix ans nous nous sommes penchés sur les œuvres du romancier, nous les étudions, les commentons. C’est un riche sujet d’étude ; aux côtés de Mauriac, notre esprit fondateur, Makine et son univers nous sont devenus familiers, nous sommes heureux de son succès.

Apprenant sa nomination, il a su trouver des paroles mesurées, simples et fortes pour exprimer son ambition littéraire :

Il ne faut pas avoir peur d’être traditionnel, d’être classique. On est toujours actuel quand on est classique… La langue est la profondeur, le sous bassement de la pensée, de la mentalité française, de la spiritualité française.

Ces propos correspondent bien à ce que nous recherchons chez les auteurs contemporains que nous étudions. L’œuvre de Makine présente, comme celle de Mauriac, des qualités de silence en une langue de facture classique qui allie poésie et profondeur dans l’analyse psychologique des méandres de l’esprit humain. C’est la marque des grands romanciers que d’être capables d’extraire du quotidien, l’universel, la spiritualité.

Françoise Hanus


Andreï Makine et l’Association Européenne François Mauriac : Les Rencontres de la Cerisaie


A la demande de Françoise Hanus, responsable de ce numéro, j’écris quelques lignes sur Andreï Makine (récemment élu à l’Académie française) et les Rencontres de la Cerisaie, surtout à l’intention des membres récents de l’Association qui ne connaissent pas cette période de notre vie.
Ce devait être autour des années 90 que je suis tombée par hasard, dans une librairie de chez nous dans le nord de l’Angleterre, sur Le Testament français. C’est ce titre français qui avait capté mon attention, si intrigant au milieu des rayons de romans anglais. Me plongeant dès mon retour dans la lecture du roman, ce fut le coup de foudre, d’autant plus que, indépendamment de son originalité, je me sentais en plein Proust. Alors, ce ne fut pas une surprise pour moi, de découvrir en élargissant ma lecture aux romans précédents, que l’écoute d’un extrait d’A la recherche par l’adolescent, alias Makine, fût à la source de sa vocation littéraire…
Comme la lecture du Testament français fut à la source des Rencontres de la Cerisaie inaugurées quelques années plus tard, dans notre maison de campagne du Perche, baptisée aussi notre « thébaïde » par le père Jean-Claude Nesmy de l’Abbaye de la Pierre-Qui-Vire, l’un de nos plus anciens membres de l’Association – quel littéraire ! quel orateur ! – malheureusement décédé depuis. C’est notre esprit fondateur François Mauriac qui affirmait que « nos rencontres sont voulues ». J’en suis persuadée en me rappelant cette décennie d’illumination par un homme et par une œuvre : les deux sont consubstantiels.
Il y eut quatre Rencontres (ou colloques) Makine. La première eut lieu en 2002, conçue en pleine période d’idéalisme européen, avec pour titre La Rencontre de l’Est et de l’Ouest, entreprise tâtonnante, il est sûr. Ont suivi, à intervalles de plus ou moins deux ans, Andreï Makine, Perspectives russes, ensuite et en continuité avec celle-ci, Andreï Makine, Le Sentiment poétique, enfin Le Franchissement du mur dans la littérature post soviétique, titre qui a une résonance si tragique aujourd’hui.[i] Depuis, d’autres communications sur Makine ont figuré dans les programmes des colloques ordinaires de l’Association, consacrés à des sujets d’ordre général.
Les Rencontres de la Cerisaie représentaient surtout une descente en profondeur dans une œuvre et un élargissement de nos horizons vers la tradition littéraire russe. Grâce aux instances de Véronique de Coppet, petite-fille du célèbre écrivain contemporain de Mauriac, Roger Martin du Gard, grand admirateur de Tolstoï, nous nous sommes déplacés pour les deux dernières rencontres dans le très beau cadre du Château du Tertre, où l’esprit de Tchekhov a pu épouser celui de Tolstoï, partout présent dans le domaine. « C’est comme à Yasnaya Polyana », me dit un jour de conférence D. Fernandez alors que nous traversions le parc, rejetant d’un coup mes remarques sur le Malagar de Mauriac !
Ainsi, les distances s’estompent et les générations s’enchaînent. Et, grâce à cette œuvre qui révélait à chaque fois des dimensions nouvelles, s’approfondissait notre réflexion sur la spiritualité dans la littérature européenne d’aujourd’hui, qui reste notre propos. Et le mot « âme », tant esquivé par nous autres à l’Ouest, à en croire notre auteur, reprend tout son sens, fait vibrer les éléments de son univers interne : la vision d’une Russie lointaine, jamais perdue, qui fait contrepoids à l’Atlantide française ; sa conception de l’amour humain empreint de mysticisme et de nostalgie d’enfance ; son sens intime de la nature dont il évoque la beauté, la fragilité, les rythmes, comme seuls les Orientaux savent le faire… Tout cela, et bien d’autres éléments encore, dans un langage qui sourd de dessous la narration des événements bruts, violents de la surface. C’est la « parole poétique » qui capte le silence, la sourde rumeur d’une autre vie et l’emporte sur les affres et cacophonies de la vie réelle. Ces dernières dominent de plus en plus. Et c’est le cri de rage de Gabriel Osmonde, une autre version du Cri de Munch.
Andreï Makine serait-il mort ?
L’Académie française en a décidé autrement et cet écrivain tant admiré à la Cerisaie et au Tertre siège désormais parmi « les Immortels ». Est-il comme le phénix toujours prêt à renaître de ses cendres ? L’aigle à deux têtes qui embrasserait d’une seule vision le monde en dessous ? Qu’est-ce qu’il va produire encore, ce fantôme sortant des ombres ? « That is the question », comme disait Hamlet.
De ces années des Rencontres de la Cerisaie que j’ai essayé tant bien que mal de résumer, qui coïncidaient avec la première décennie du siècle nouveau si plein de rêves et d’espoirs, j’évoquerai un seul souvenir. C’est, un samedi soir au Tertre, celui d’Andreï Makine, debout sur la terrasse, incandescent sous les flamboiements du couchant, le buste légèrement penché en avant comme pour saisir quelque chose, le regard illuminé du dedans. Ce fut un de ces instants réels, transposés, qui font tout le prix d’une vie et qui donnent leur radiance à l’œuvre… Pour nous transporter aussi vers un ailleurs insaisissable…

Margaret Parry
Helm, North Yorkshire
Angleterre



Andreï Makine en Roumanie

A l’occasion de la XXe édition de la Foire Internationale GAUDEAMUS-livre de sagesse du mois de novembre 2013, l’Institut Français de Bucarest a accueilli du 22 au 24 novembre, l’écrivain français Andreï Makine, comme invité spécial. Pendant trois jours, les 22-23 et 24 novembre, l’écrivain a eu plusieurs rencontres avec des journalistes, professeurs, universitaires, étudiants ou lecteurs : le 22 novembre au lectorat français de l’Université de Bucarest ; le 23 novembre à la librairie Kyralina et le 24 novembre à la foire du livre Gaudéamus, quand il a lancé en Roumanie son roman Une femme aimée, traduit en roumain par Daniel Nicolescu-Iasi, aux Editions Polirom, dans la série Actual, Ecrivains contemporains, voix et tendances nouvelles dans la littérature universelle d’aujourd’hui, en liaison avec l’Institut français et qui a été le livre le plus recherché, la vedette de la foire. Ce jour-là, Andreï Makine a eu un entretien avec Luca Niculescu, Journaliste, pour Radio France Internationale. Tout cela peut être revu sur Youtube, où, d’ailleurs, j’ai suivi aussi toutes les manifestations liées à Andreï Makine.
Comme suite à une lecture passionnante de ce que j’ai trouvé dans les librairies de la ville: Une femme aimée, Le Testament français, Le crime d’Olga Arbelina, La femme qui attendait, L’amour humain, La vie d’un homme inconnu, Le livre des brèves amours éternelles, en roumain, bien sûr, j’ai découvert un écrivain venant de l’Est, qui a aimé, depuis toujours, le français et la France… Je l’admire pour sa ténacité, sa volonté de réussir, sa capacité à résister… Entre les lignes, j’ai deviné une sorte de nostalgie de l’espace qui l’a beaucoup marqué. Et je peux dire tout ça, peut-être à cause de mes origines paternelles, héritage de personnes qui ”ont fait” la Sibérie… Une tante de mon père nous racontait ces hivers-là, éternels, quand, parfois, l’air était impossible à respirer… Tous les personnages de Makine représentent un monde qui devait supporter les ordres inexplicables d’un régime dur et fou… et chacun d’entre eux est un héros.

Ayant vécu jusqu’à 30 ans en Russie et possédant une intelligence profonde, il a pu connaître “sur place” l’histoire, la culture et la civilisation russes ; lui, il a pu faire la radiographie d’une société si complexe, si diverse et si controversée… Andreï Makine, pour moi, est l’un des Titans de la culture de l’Est.
Bien attentivement, j’ai suivi tous les enregistrements d’Internet avec Andreï Makine et, comme cela, je me suis tracé un portrait complet de celui qui, depuis trois ans, était l’objet de mes préférences intellectuelles…
Toute l’écriture d’Andreï Makine est une lutte ; une lutte pour vaincre le mal, le mauvais, la haine. Pour exprimer ses pensées, il a choisi le français et voilà que tous ses efforts ont été récompensés : il a obtenu le 5e fauteuil à l’Académie française et il est “le plus jeune Immortel”. Sa patience n’était pas vaine… Je le félicite et suis fière de lui, car moi aussi je suis de l’Est, je connais le russe et, par-dessus tout, j’aime le français et la France ! Je regrette mon manque de talent pour l’écriture, mais je me sens bien, quand même, comme simple lectrice de tous ceux qui savent écrire artistiquement !
Personnellement, je remercie l’AEFM pour l’opportunité que j’ai eu d’avoir la possibilité de faire connaissance avec tant d’hommes de lettres de valeur sur le plan spirituel et culturel… Je garde encore vifs tous les souvenirs partagés ensemble!

P.S. Je souhaiterais que l’AEFM organise le 10 septembre 2017, la fête du 60e anniversaire d’Andreï Makine !
Doïna Baroiu, (Roumanie), mars 2016)



Nouvelles de l’Association

Michel Bonte signale le décès de Josée Mauss en décembre dernier, épouse de Gaston Mauss qui a été membre de l'AEFM durant plusieurs années, et maître d'école de Roger Bichelberger. Gaston est aussi un passionné de photos dont il a illustré de nombreux livres, faisant aussi des conférences sur des sujets religieux avec ses photos et notamment sur les vitraux de Chagall dans la Cathédrale de Metz que nous avons pu admirer lors du dernier colloque.
A l'issue de la cérémonie des obsèques, Gaston a prononcé quelques mots que sa fille Annick nous a transmis.


Mots d’accueil adressés aux personnes présentes à la collation de l’Hôtel Mercure, le 15 décembre 2015

Je vous invite tous à cette collation, car je pense que la messe doit être suivie d’une rencontre, de contacts et d’échanges.
A la messe, on nous a parlé de la personnalité de ma femme Josée. Moi, je souhaite vous dire quelques mots de la vie de notre foyer au cours de ces derniers mois.
Je ferai deux remarques préalables. Depuis quelques années, j’ai réfléchi à l’analyse du couple, de l’amour et de l’amitié. D’autre part, par la maladie et les opérations, nous sommes entrés dans un quatrième âge médical que nous n’imaginions pas il y a dix ans.
Comme point de départ, je choisirai l’image d’une fable de Claris de Florian, celle de l’aveugle et du paralytique : tous deux sont handicapés et doivent être conduits pour marcher. Mais voici : l’aveugle prendra le paralytique sur son dos et le paralytique le conduira. Vous l’avez compris : l’aveugle, c’est moi, et le paralytique, c’est ma femme Josée dans son fauteuil roulant. Quand je cherche mes lunettes, elle me dit : « elles sont sur la table !». Comme je n’entends pas bien, elle me dit : « On a sonné ! », et je vais ouvrir. Moi, je fais chaque jour avec elle des mouvements de gymnastique, pour lui éviter l’immobilité, et je m’occupe de divers petits soins, comme de lui fournir à boire.
J’ajoute que nous étions bien entourés. D’abord, par nos enfants, dont le dévouement est tellement naturel qu’il passe inaperçu. Mais je veux souligner mon admiration pour les soins et le travail des aides-soignantes et des auxiliaires de vie. Je n’ai vu que très rapidement les aides-soignantes, car elles soignaient ma femme, mais assez longuement les auxiliaires de vie. Je tiens à souligner ma grande admiration pour leur générosité, leur dévouement, leur joie de vivre, leur humour, leur enjouement, la finesse et la variété de leur langage dans leurs entretiens avec ma femme.
Ce qui, au départ, était une vie partagée entre nous, dans un esprit de vie en équipe, est devenu une véritable amitié.
Il y a eu des moments d’inquiétude face à la souffrance et aux problèmes de la maladie, mais aussi des moments de très grande joie, grâce à des présences d’amitié et grâce à des visites.
En conclusion, je dirai que cette étape est marquée par une grande profondeur psychologique et spirituelle, et par la profondeur des relations humaines.
Et je termine, en disant que la vie du foyer continue au niveau spirituel.

Gaston Mauss

Publications de nos membres

Thierry J. Laurent, André Maurois, moraliste, Paris, L’Harmattan, 2016
docteur ès lettres chercheur associé à l’Institut de recherche en Langues et Littératures Européennes de l’université de Haute-Alsace (ILLE, EA4363) et au Centre de Recherche en Littérature Comparée de l’université Paris IV-Sorbonne (CRLC, EA 4510.

André Maurois, auteur à succès de son vivant, n’est plus guère lu aujourd’hui. Ecrivain polyvalent, il est surtout un philosophe au sens du XVIIe siècle :quelqu’un qui propose une sagesse et tient la religion à l’écart. Il s’est constamment présenté comme un observateur attentif de ce que font, disent, pensent et ressentent les hommes, nous faisant part aussi de son expérience et livrant des conseils. Mais le moraliste qui analyse la psychologie et les comportements, qui indique les conséquences de nos actes et les voies à suivre, réfute la littérature à thèse et ne tient pas du moralisateur ennuyeux ou obtus. Dans ses fictions en prose, ses biographies, ses travaux d’historien, ses traités de mœurs, le « maître à vivre » est parvenu, tout en révélant ses propres points de vue (croyance en la volonté, attachement aux traditions), à éviter le dogmatisme et le didactisme.


Dorra Barhoumi, Ecrire le « mal d’être » au XIXe siècle : Chateaubriand, Constant, Maupassant, Edilivre, 2015.
docteure ès lettres, chercheuse et enseignante de Littérature française à l’université de Kairouan en Tunisie

Cet ouvrage traite de la représentation du sentiment de « mal-être » qui est une version du sentiment du « mal du siècle » propre au XIXe siècle.
Elle avait présenté au dernier colloque de Metz une communication dont le titre était : « La nostalgie » entre tentation et destruction. Le cas de « René » de René de Chateaubriand


Roger Bichelberger, Si j’avais été riche
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[1] Charles Péguy, Le Mystère des Saints Innocents. Œuvres poétiques et dramatiques, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t.1, 2014, p. 892.
[2] Conférence de Carême à Notre-Dame de Paris du 13 mars 2016 par Claire Daudin ; diffusion en direct sur France culture, KTO, radio Notre-Dame. A retrouver sur Internet en différé.
[3] Charles Péguy, Premier Dialogue de la cité harmonieuse, Œuvres en prose complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1987.
[4] Ibid., note 2.
[5] Ibid., no 3, t.1, p. 56.

[6]R. Barthes : l'Obvie et l'Obtus, Paris, Seuil, 1982, p. 84.
[7]J-P. Vernant : Mythes et tragédies en Grèce ancienne, Paris, Maspéro, 1979, p. 25.



[i] Les actes de ces colloques ont tous été publiés chez L’Harmattan.

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