Intervoix № 33

ÉDITORIAL



Une première matinée dans une nostalgie de toujours

   Il y a 30 ans, ce dimanche soir d’octobre, jour pour jour, nous étions réunis dans la cour de Malagar, embrasée par le soleil du couchant.  C’était la dernière soirée des célébrations marquant le centenaire de la naissance de Mauriac.  Nous, c’étaient les Mauriaciens venus d’un peu partout, et avec nous la famille Mauriac, Jean et Claude entre autres.  Petit à petit les ombres s’accumulaient… moment tout spécial avant la dispersion.  Il y avait le murmure des voix, le chuintement des graviers sous les pieds, l’ombre du tilleul si cher à Mauriac, souffrant déjà.  Et tout d’un coup l’obscurité était totale.  Ne restait plus que la maison, incandescente dans le rougeoiement du couchant.  Ce fut, à cette heure-là, qu’a soufflé l’esprit dans trois cœurs amis.  L’idée de notre association était née.
   Metz, 30 ans plus tard, lieu de convergence sur une autre colline, où le soleil ne lésine pas ses rayons pour révéler la ville dans toute sa splendeur.  A aucun moment plus perceptible pour moi que cette première matinée, qui a vite fait d’effacer quelques ombres traînantes, comme le tableau du ‘Prisonnier’ dans le musée des Beaux Arts, symbole des forces oppressives qui laissent partout dans la ville le souvenir de leur présence.  Devoir de mémoire, donc, et l’on interroge le noble visage du jeune homme encadré.  Mais sous l’impulsion d’un autre parcours l’on passe devant pour laisser jouer l’imagination devant un autre tableau, celui de Metz-Jérusalem, et sortir ensuite dans le soleil matinal des Hauts de Sainte-Croix, errer dans ruelles et petits squares où finissent de s’installer tables et chaises et parasols comme pour un « déjeuner sur l’herbe » dans la joie souriante de la matinée.
   Hélas, c’est trop tôt, et je m’aventure plus loin à la recherche de l’ancien cloître des Récollets, beaux restes du 14ème siècle de l’ancienne abbaye franciscaine où va avoir lieu notre colloque (aujourd’hui Institut européen de l’Écologie – retenons ce fait).  Qui rappelle tout de suite un autre cloître, celui de l’abbaye des Prémontrés dans cette même région frontalière si chère à notre association, puisque associée justement à quelques événements clés de notre histoire et de notre vie…

« Souvenir, souvenir, que me veux-tu …? »
   Juste avant le cloître, entre les hauts murs de la ruelle étroite, quelle est cette senteur délicieuse qui nous envahit ?  On lève la tête et le mystère s’éclaire.  S’élève au-dessus du mur un immense tilleul qui baisse ses branches fleuries pour embaumer tout le quartier.  Et c’est comme sous l’effet du célèbre breuvage de Proust.  La cour de Malagar est encore là et l’esprit de François Mauriac pour présider à notre colloque – ce mouvement d’intelligence et de cœur pour faire éclore l’essentiel des choses.
   Cet essentiel qui est dans le rappel partout présent dans cette ville lumière de l’esprit indomptable de l’homme pour rétablir le sens et l’harmonie des choses.  Rappel qui est là, presque côtoyant le cloître, en bas de la rue des Enfers (que ce nom aurait plu à son célèbre habitant !) dans la maison dite de Rabelais, qui a offert refuge et hospitalité à l’écrivain chassé  de son pays, et la respiration d’un air plus libre pour pouvoir continuer son œuvre.  Rappel qui est là dans le rayonnant sourire des gens qui entrent et sortent du Temple Neuf planant sur les eaux tranquilles de la Moselle, comme s’ils étaient allégés du poids d’un mauvais souvenir.  Rappel qui sera là tantôt dans la modeste mais si belle demeure de Robert Schuman avec son jardin accueillant, toujours imprégnée de l’esprit du fondateur  de l’Europe – cette Europe si vacillante à l’heure présente, comme d’ailleurs la nature…
   Cette nature toujours si vivante, pourtant, à Metz, pour élever l’esprit dans le spectacle de sa beauté.  Dont le symbole restera pour moi, en cet été de 2015, les allées de tilleuls  dont on respire partout le parfum comme une grande bouffée de bonheur et d’amitié.

   Pour combien de temps encore connaîtrons-nous de ces instants de plénitude grâce au lien profond avec la nature, que chantait François Mauriac, que chantait St François (celui-là même de notre cloître des Récollets) dans son ‘Cantique au soleil’, que voudrait chanter aujourd’hui un autre François, son héritier, dans son encyclique Laudato Si, sortie en librairie presque au même moment que  notre colloque.
« Les arbres meurent comme les hommes. »
   J’ai soudain devant moi l’image du bloc de ciment dans le tilleul de Malagar.
   Si, dans son encyclique sur la sauvegarde de la nature, François évoque à peine les arbres comme nous les vivons, nous, dans leur poésie intime, nous avons eu, dans notre colloque, le privilège d’écouter une communication sur le mystère des arbres qui poussent leurs racines jusqu’au fond de notre mémoire pour faire naître petit à petit la nostalgie de l’avenir… la nostalgie des cimes, pouvons-nous dire, qui porte le regard toujours au-delà, comme vers une mer lointaine.  Mais pour cela il faudrait un terrain fertile, richement entretenu.
Il y avait Metz ; il y aura un jour l’Estonie…
Vient à notre aide le beau mot de Saint-Exupéry :
« Seul l’esprit s’il souffle sur la glaise peut créer l’homme. »


Margaret Parry

Metis

Le cloître des Récollets a été un refuge pendant les journées de canicule qui ont sévi dans l’est de la France, en ce début de juillet 2015.
Refuge où pourtant régnait une belle effervescence de l’esprit.
Dans la salle du chapitre, se sont succédé des voix venues de l’Europe et d’ailleurs, de la musique, des lectures nostalgiques.
Dans le cloître même se sont croisés les membres  de l’AEFM et des inconnus vite adoptés, des intervenants venus de bien des pays qui ont révélé de surprenants  paysages de la nostalgie. Et le monde s’est élargi, le monde des livres certes, mais aussi le monde de la rencontre, le monde des échanges humains, le monde tout court.

C’est pourquoi nous tenons à remercier ici tous ceux qui ont contribué à cette rencontre et en particulier ceux qui l’ont organisée:
Nina Nazarova, Galyna Dranenko, Pierre et Marie-Cécile Schroeter, Claude Hecham. 


Après le colloque

Promesse d’un colloque

Qui sait l’effet de revenir dans un lieu apprécié jadis grâce à des séjours répétés mais dont la trop courte durée ne donne donc pas droit au titre de connaisseur? Une région, une ville, une maison, une association ? L’AEFM était déjà revenue en Lorraine lors du colloque de Pont-à-Mousson (1988) avant la rencontre de Maizières-lès-Metz (1993) mais il a fallu attendre 2015 pour se retrouver à Metz intra-muros. J’avais découvert la ville entretemps grâce aux relations qui s’étaient nouées dans les entretiens, réunions et débats autour des lettres, la spiritualité et l’œuvre de François Mauriac. Colloque veut dire aussi séminaire et nous voilà réunis au cloître des Récollets dans la salle capitulaire qui aurait pu servir en d’autres circonstances à rassembler un consistoire voire un synode en cette ville marquée par le concordat et la présence des Eglises protestantes d’Alsace et de Lorraine. Autant d’images gravées au fond de la mémoire du congressiste, ce touriste intellectuel qui se promène dans des lieux chargés d’histoire. On se justifie par l’activité de l’esprit et on ramène dans ses bagages des instantanés qu’on admirera plus tard chez soi.

« Tout ce qui dure est en état de perte » écrit l’écrivain lorrain Roger Munier (1923-2010) dans Lettre à personne sur la maladie (Amiens, Le Nyctalope, 1986) et ainsi celui qui revient dans un lieu connu jadis découvre que c’est le lieu qui vient vers lui sous un angle nouveau et cela sans nostalgie aucune. Tel est le constat de Robert Scholtus, écrivain messin, participant au colloque et auteur de Promesse d’une ville (Paris, Arléa, 2012), le récit touchant de son retour à Metz après dix ans d’absence à Paris. L’auteur découvre de nouveau sa ville natale imbibée de souvenirs mais l’intime cède la place au réel d’aujourd’hui. La mémoire devient la clé de l’à-venir, de la surprise, de l’instant, des souvenirs révisés quand il ne s’agit pas de l’invention dans le sens archéologique de la découverte inattendue de ce qui était caché et qui mène loin. Ainsi le nom de la ville est du féminin malgré la terminaison masculine : « Metz est une femme, à n’en pas douter » (Scholtus, p. 49).

De retour dans une ville et dans une association après des années d’absence on reçoit des impressions nouvelles. L’AEFM a grandi, étalant toujours ses bras au nord, à l’est et au sud sur le continent africain, toujours fidèle aux qualités fondatrices d’ouverture et d’approfondissement. D’une séance à l’autre on découvrait des valeurs sûres comme l’œuvre de Chateaubriand, Mauriac, Alain-Fournier, Camus et Kundera à côté d’auteurs récents comme le Lorrain Bernard-Marie Koltès mais aussi Amélie Nothomb, Patrick Modiano, Michel Houellebecq et Mathias Enard. Des auteurs venus d’ailleurs : Schiller, Pirandello, Alexandre Márai et Sebastian Barry sans oublier les textes du Liban, du Sénégal, de Russie, ni l’Italie et la musique, ni la peinture et la photographie. La présentation allait de la conférence universitaire à la causerie intellectuelle et à la fausse vraie spontanéité de l’expérience vraiment vécue.

La maîtrise de l’espace urbain permet de contrôler la reproduction sociale et on cite souvent en exemple le Paris de Haussmann sans ignorer le contraste qui continue d’exister avec la ville séculaire et populaire. Ne dit-on pas qu’après avoir vécu à Paris, on est (in)capable de vivre ailleurs, y compris à Paris ? Le voyageur revenant à Metz constate combien la ville possède de visages historique et contemporain. Tous ne sont cependant pas unanimement appréciés par les Messins ce qui est leur droit. Les petits pays et régions sont les plus intéressants, souvent à cause des traces trop visibles d’une longue présence étrangère. Le guide Michelin Vosges. Lorraine, Alsace, publié en 1964 et qui appartenait à feu mon beau-père, germanophile (il avait voyagé en Allemagne dans les années 1930) et germanophone (il était aussi arabophone), évoque l’occupation allemande de l’Alsace-Moselle entre 1871 et 1918. On y évoque tristement la « Capitulation de 1870 » et la trahison de Bazaine suite à laquelle : « La statue de Fabert est voilée de crêpe. Metz, en deuil, subit la pire humiliation de son histoire. » La restitution en 1918 est évoquée de manière triomphale voire lyrique et l’allusion au retour fait réfléchir au moment du défi du fédéralisme européen :
Pendant quarante-sept ans, Metz supporte la plus dure des occupations mais elle ne désespère pas de son retour à la mère-patrie. Le 19 novembre 1918, les troupes françaises font leur entrée à Metz. Le 8 décembre, les présidents Poincaré et Clemenceau sont dans la ville. Au cours d’une émouvante cérémonie en l’honneur de nos armées et de leurs chefs, les deux hommes d’État s’étreignent dans une longue accolade. (p. 100-101).
Mon beau-père était très attaché aux traditions germaniques de l’Alsace-Lorraine, son père avait fait la Grande guerre comme officier mais il ne commentait pas ces évènements, pas plus que « la drôle de guerre » de 1939-40 à laquelle il a participé en Lorraine et on comprend son embarras.

Le passage du temps crée l’habitude et sans doute les Messins n’ont-ils pas vécu assez longtemps sous la présence étrangère pour s’y habituer, à l’encontre des pays ayant subi une occupation séculaire ou les colonies devenues indépendantes et qui restent attachées aux signes de l’ancien maître impérial. L’architecture germanique néo-romane du Quartier impérial de Metz, dont la Gare et la Poste, possède cependant aux yeux des non-Messins un charme sûr, tout comme le style néo-Renaissance du Palais du Gouverneur, conçu comme pied-à-terre pour l’empereur Guillaume II, et le Reichsbank, l’ancienne banque impériale. Le voyageur regrette la brasserie de la gare mais retient son souffle en remontant l’avenue Foch vers l’avenue Jean-XXIII car elle s’appelait Kaiser Wilhelm Ring jusqu’en 1918 et, ce qui est plus sinistre, Hermann Göringstrasse de 1940 à 1944. Le chemin des Récollets conduisait le congressiste à travers le centre piétonnier aux pavés anciens sous le signe du Graoully et si la maison de Verlaine se trouvait à l’autre bout de la ville, celle de Rabelais était à cent mètres. L’excellente visite guidée des vitraux modernes de la cathédrale (Chagall, Villon (le frère de Marcel Duchamp), Bissière, Gaudin), qui possède la plus grande surface vitrée de France, était un moment fort tout comme d’y voir la chaire de Bossuet. Si les vitraux de Cocteau à l’église Saint Maximin sont certes jolis, l’église elle-même est une vraie beauté romane sans oublier l’extraordinaire quincaillerie dans la même rue Mazelle, ni le temple néo-Renaissance luthérien de la confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine presque en face de l’église. Outre-Seille intrigue car, comme dans un autre quartier de tanneurs celui de la Bièvre, enterrée elle à Paris, le cours d’eau y a disparu aussi, asséché et le quartier qui n’a plus rien d’outre-quoi-que-ce-soit garde pourtant un charme médiéval où résonnent aujourd’hui les accents des Lusophones.

Metz s’est dévoilée à l’image du colloque, l’une et l’autre ouvrant à qui le cherchait une perspective nouvelle sur des sujets qu’on croyait connaître. Le marché couvert de Metz face à la cathédrale, situé dans ce qui devait être à l’origine un palais épiscopal, confirmait dès sept heures, le samedi matin, par la quantité de produits d’origine italienne, l’importance de cette seule communauté en Lorraine. L’attachement des Messins à la charcuterie locale était évidente à la vue des très longues doubles files d’attente devant les étals où chacun avait son ticket d’arrivée, arrimée à la main et où les bonnes choses s’échangeaient au son de l’accent local où les « t » finaux se faisaient clairement entendre (« vingt »), confirmant la proximité d’une des plus anciennes frontières linguistiques d’Europe où coexistaient dès le 3ème siècle les parlers celtique, germanique et roman. En fermant les yeux on se serait cru en Belgique.

Les limites administratives suivent des lignes géographiques, politiques, linguistiques ou confessionnelles. Cependant la Metz du colloque, à l’instar d’autres villes réelles ou imaginaires, et ressemblant au tableau Polombe de F. Stella au Centre Pompidou de Metz, suivait plutôt la forme de petits cercles qui se croisaient et où la rencontre se faisait à l’intersection des arcs, le tout à l’intérieur d’un grand cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Le temps du colloque, en attendant la lecture des actes, a permis de vivre et d’échanger dans la diversité, confirmant que la véritable culture n’est pas celle qu’on absorbe mais celle qui sort du cœur (Mt 15 : 11). Un grand merci aux organisateurs dont le travail de préparation et la rigueur opérée dans les choix ont ouvert sur un vaste territoire humain, artistique, littéraire et urbain : celui du monde en devenir et celui de l’humanité qui cherche à vivre les vertus de la vie solidaire.

Patrick Gormally


Metz après Metz

         Pour moi, la France s’est révélée, d’abord à travers les Français voyageurs, admirateurs et fins connaisseurs de l’art et de la culture. Ils étaient arrivés au Monastère d’Agapia, au nord-est de la Roumanie. Dès mon enfance, le premier mot français que j’ai appris a été « Bonjour! ». Je l’entends toujours, comme je le voyais, hier comme aujourd’hui, sur les visages des Français, arrivés chez nous, en Moldavie. En descendant de leurs voitures, ils nous donnaient tout de suite de petits cadeaux, toujours les mêmes: du chocolat, des bonbons et des crayons à billes. Ici, ils pouvaient contempler la peinture murale de l’église et ils avaient aussi la chance de rencontrer  et de s’entretenir avec les immortels d’Agapia, les personnages du roman de C.V.Gheorghiu, qui vivait à Paris et qui a rendu éternelle la 25ème heure, connue de chacun d’entre nous, les terriens, suspendus entre la lumière impérissable de l’instant imprévu de la vie et la quête sans conquête d’un Absolu irrésolu, sinon dans l’amour. L’amour et la beauté qui vont sauver l’homme menacé sur la terre.

         Puis, à l’école, j’ai été mis à l’épreuve de prononcer, en français, les phonèmes et tout de suite j’ai compris que j’aimais tout ce que j’avais, mais que  je n’avais pas tout ce que j’aimais. Ensuite, au lycée et à la faculté ce furent les années folles de la félicité de lire en français, d’apprendre par cœur des poésies et la révélation de la mort, grâce à Bossuet: je venais  de construire mon personnage et c’était sous la forme d’une image, celle de l’homme qui passe. A. Malraux allait retourner cet énoncé sceptique en disant: « La vie n’est rien, mais rien ne vaut la vie. »

         Et ce fut décembre 89. Grâce au journal Libération, qui a publié mon adresse, j’ai reçu, tout d’un coup, plus de 50 lettres, envoyées par les Français et des colis pleins de livres
.
         Invité par l’AEFM, j’ai participé à plusieurs colloques. Le premier reste gravé dans ma mémoire affective par la lumière de la Cathédrale Saint Etienne, dont les vitraux m’ont fasciné jusqu’au comble de la contemplation divine. Ici, s’est passé mon baptême de France. Ici, s’est passé ma renaissance. Ici, j’ai retrouvé ma mère adoptive, après une attente de 25 ans. J’ai appris et je savais ses paroles, mais je ne la connaissais pas encore. De plus, pendant la dictature, à l’école, j’avais eu l’impression que j’enseignais une langue morte, comme le latin, parce que, c’était interdit d’avoir des contacts et de communiquer en français. Aussi, le moment le plus  pénible était celui où mes élèves répétaient « j’aime le chocolat »  alors qu’ ils n’en avaient jamais vu.

         Aussitôt arrivé à Metz, Marie-Cécile, ma marraine, m’a conduit, toute une après-midi par la ville et me l’a fait connaître. Dans la Cathédrale Saint Etienne nous sommes restés longtemps en admiration. Les vitraux de Chagall et de Béatrice Simon,  je les ai retrouvés cet été, lors du Colloque de l’AEFM, au thème généreux, La Nostalgie,  grâce auquel j’ai vécu un instant d’éternité, celui de mon double JE : moi, d’autrefois, l’enfant prodigue, et moi, du présent, en présence de mes meilleurs amis, dans le Jardin des simples, qui était comme une préface à l’entrée de la Salle de conférence.
         Le moment culminant s’est passé le jour de la visite de la Cathédrale Saint Etienne, où j’ai retrouvé ma marraine, Marie-Cécile. C’était ma vingt-cinquième heure, après vingt-cinq ans d’attente. J’ai retrouvé aussi ma mère adoptive, la douce France, l’esprit de finesse français, l’élégance, l’air respirable de la liberté, et l’amitié spirituelle des rencontres littéraires, sous la protection du Verbe divin, mis à l’épreuve, dans la beauté de la lumière. Les Français maîtrisent l’art de communiquer, c’est-à-dire, d’être à l’écoute de l’autre. Exigeants avec eux-mêmes, ils ne s’imposent que par l’ouverture de l’esprit.
         Un autre jour, d’autres vitraux nous attendaient. Les quinze célèbres vitraux de l’Église Saint Maximin, conçus par Jean Cocteau, qui sont sa promesse d’éternité, dans un registre judéo-chrétien. Adam et Eve – les mondes surnaturel et terrestre liés entre eux par la croix du Christ – la colombe, symbole de l’esprit de Dieu, qui préside à la création. Nous sommes face à une partie du vitrail qui illustre la Genèse.
         Je n’oublie pas les témoins antiques, le site de Grand, un sanctuaire dédié au dieu guérisseur gallo-romain Apollon-Grannus, édifié au Ier siècle, La Citadelle, La Chapelle des Templiers et d’autres repères qui invitent et séduisent. Au pays messin, tu te retrouves au présent, comme un enfant, au pays d’une histoire vivante.
         Heureux celui qui comme Georges a retrouvé sa mère adoptive, et la Cathédrale où Chagall, dans un vitrail, a fait s’accomplir l’amour. Il a préfiguré Eve enceinte, comme une lumière qui se montre à travers l’ombre. Terrible vision de l’amour de Dieu, un amour partagé, et non pas ignoré.
         À la fin, enfin, je me suis retrouvé comme chez moi, dans une maison, la Maison de Robert Schuman, le Père de l’Europe, où règne la paix de la sagesse, dans la bibliothèque, comme dans le bureau, dans le jardin, comme dans le garage, dans la cuisine, comme dans la chambre à coucher. Partout, on respire l’air de la modestie, de la simplicité, et de l’esprit. Voué à la communauté, Robert Schuman s’est dévoué comme à une famille, à l‘Europe, à qui il a donné son nom, « immortel ».
         J’attends l’occasion de revenir en France pour pardonner à la Seine qui a englouti deux poètes nés en Roumanie: Gherasim Luca et Paul Celan. Tous les deux sont pour nous l’inter-face d’une éternité vivante!

       Georges Simon
    Agapia-Roumanie


Pères et Fils

Les pères fondateurs de l’Europe

Sur les coteaux mosellans, ce jour-là écrasés de soleil, un petit groupe d’Européens se tient devant la sculpture érigée en l’honneur des pères fondateurs de l’Europe: Jean Monnet, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi et Robert Schuman.

Cette sculpture monumentale regarde en direction de la vallée, comme vers une terre promise, l’Europe, qui vue de là, ressemble à un jardin qui descendrait vers une  rivière en contrebas, la Moselle. Le point de vue est très beau. La promesse aussi. L’espérance aussi. Et nous, qui sommes rassemblés autour du monument, nous sommes un peu les enfants de la promesse: Italiens, Espagnols, Anglais, Irlandais, Estoniens, Ukrainiens. Libanais, Roumains,  Français. 

Cette sculpture est réalisée à côté de la petite église fortifiée du XIIème siècle où repose Robert Schuman. L’auteur du Plan Schuman.

« La paix de l’Europe ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent »

Voici la première phrase, jetée, en 1950,  sur un brouillon, précurseur du Plan Schuman. Il a fallu une volonté de paix et quelques hommes pour la porter. Nous sommes debout à côté de ces hommes aujourd’hui décédés et  nous avons à accomplir notre étape.

«  Le gouvernement français propose de placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous une Haute Autorité commune dans une organisation ouverte à la participation des autres pays de l’Europe. »

Voici la première étape. Il s’agit d’un projet commun qui permet de se parler non pas en dualité, mais autour de quelque chose.

Nous, membres de l’Association Européenne François Mauriac, nous  cherchons un esprit  commun à cette Europe. Nous cherchons et cherchons quelque chose qui nous dépasse et nous l’avons déjà un peu trouvée au sein de notre groupe, uni par l’amour de la littérature et par quelque chose de plus  qu’on pourrait appeler une ouverture à l’autre,  qui vient du fait que nous nous rencontrons, nous nous parlons, nous nous connaissons. Nous hébergeons l’autre en nous.
Nous sommes un embryon et ne demandons qu’à croître.

A l’horizon: réconciliation, solidarité, paix!

Hélas, nous en sommes loin. L’Europe n’est pas une île. A ses confins, la terre tremble.
Nous ne pouvons ignorer que la paix est menacée.

Mais en ce jour de juillet, dans la maison si simple de Robert Schuman, si semblable, côté jardin à celle de François Mauriac à Malagar, sans le tilleul, bien sûr, mais avec une vallée et un horizon comme à Malagar, je suis émue. Il suffit de quelques hommes de bonne volonté pour changer la face du monde.

A Metz on sait ce que signifient l’annexion, la main mise sur un peuple, l’humiliation, l‘oppression, la guerre, la répression, la déportation, l’incorporation de force, la mort. C’est donc au sein du malheur  qu’est née cette idée utopique de la Paix.

Je déambule dans la maison où les livres s’entassent sur les rayons. Je m’attarde dans la petite salle à manger qui a vu passer des grands… et des petits.  Je m’attarde dans le bureau, lieu d’échanges passionnés.

Je déambule dans le jardin et souhaiterais m’y attarder comme dans un coin de paradis où pousseraient  de la vigne, des arbres fruitiers, des framboisiers, des herbes aromatiques de toutes sortes, des fleurs à profusion. Et un arbre de vie.

C’est là qu’a vécu un homme qui a cru en l’homme.

Marie Louise Scheidhauer


Le plus jeune participant

Les yeux bleus, les cheveux de lin, le sourire charmeur, il est dans la salle et écoute les participants au congrès.  Même s’il ne connaît pas la langue, il semble très attentif à ce qu’ils disent et filme tout ce qui l’intéresse. C’est la première fois qu’il assiste à un congrès, mais le milieu universitaire lui est très familier. Il a son badge sur le revers et il est très élégant avec sa veste gris clair. La canicule est oppressante même dans le cloître des Récollets, cependant pas une goutte de sueur ne perle sur son front. Il se déplace en vrai gentleman, même quand il sort de la salle pour faire un saut dans le cloître.
Il vient de Madrid, mais il parle parfaitement italien avec son père, qui est professeur universitaire, et avec les autres italiens présents dans la salle. Grâce à son bilinguisme, il passe de l’espagnol à l’italien avec une facilité enviable et quand quelqu’un lui dit, en français: « Comme tu es beau ! », il lui répond un timide: « Merci ! » et il boit du petit lait, mais toujours avec  l’aplomb qui le distingue.
Il ne se lasse pas de regarder autour de lui, tout en restant toujours près de son père, qui lui donne de l’assurance.
Quand le congrès commence, il est assis au septième rang des chaises et, à côté de son père et de moi-même, il écoute en silence l’ouverture du colloque par la Présidente Nina Nazarova.
Vers dix heures et demie, au moment de la pause, il court heureux vers le fond de la salle et, cinq secondes à peine plus tard, il prend une douzaine de petits croissants, deux ou trois pour lui et les autres pour son père, pour moi et pour ceux qu’il avait rencontrés ce matin.
Même s’il ne restera pas dans la salle tout le temps, parce qu’il a envie de courir en plein air comme tous ceux de son âge, coûte que coûte, il ne rate pas mon intervention, qui est programmée dans l’après-midi de la première journée, ni celle de son père ni celle de son amie Thais, les deux programmées pour le lendemain. Il est curieux de nous écouter parler en français, mais surtout il est curieux d’écouter son père, qui souvent étudie le  français pendant qu’il fait ses devoirs, les deux assis dans le même bureau en se regardant dans les yeux et en s’amusant quand ils ont envie de faire une pause.
Quand je finis mon intervention, il court vers moi avec un petit croissant à la main et me lance : « Prends, c’est pour toi » et je me laisse émouvoir par son regard lumineux et souriant.
Il a dix ans, il est le plus jeune participant au congrès, les yeux bleus, les cheveux de lin, le sourire charmeur.

          Patrizia Prati

Le poète
Nostalgie de Verlaine


Paul Verlaine est né à Metz, nous avons aperçu sa maison natale en visitant la ville. Mais il est né sous le signe de Saturne et ne devait pas devenir Messin mais garder jusqu’à la fin de sa vie la nostalgie de ce lieu si éloigné de Paris.

            Ô Metz, mon berceau fatidique,
Ainsi commence la sixième strophe du long poème intitulé simplement  METZ., écrit sur un lit d’hôpital par un homme de 48 ans qui n’a plus que quelques années à vivre; mais quelles années! Celles où il sera sacré Prince des Poètes et composera encore ce recueil d’INVECTIVES publié après sa mort en 1896.  Le ton des vers , tantôt lyrique tantôt épique, fait écho au nationalisme revanchard de ces années précédant la guerre de 1914.

            Metz, violée et plus pudique
            Et plus pucelle que jamais!
La guerre de 1870 avait fait perdre à la France l’Alsace et la Lorraine; vingt ans après la défaite, Verlaine se souvenait avec nostalgie de sa terre maternelle:

            Ô ville où riait mon enfance
            Ô citadelle sans défense
            Q’un chef que la honte devance
            Ô mère auguste que j’aimais.
Qu’aimait-il donc à Metz, lui qui n’y avait vécu que quelques années avant l’âge de six ans?La porte Serpenoise,  la Moselle ,  la Seille, rivière prolifique, la cathédrale et safameuse cloche, la Mute, dont le nom rime avec flûte,  mais dont le son évoque la grosse voix du bon Dieu, ce sont quelques- unes des merveilles offertes aux poètes par cette bonne ville.
Jacques Borel, dans sa présentation des Oeuvres Poétiques Complètes de Verlaine, choisit deux mots , sensation et rêverie, pour nommer les sources de l’art verlainien. Dès le plus jeune âge, comme Verlaine l’a montré dans ses Confessions, il était attentif aux formes, aux couleurs, aux ombres, aux bruits légers comme celui de l’eau qui chante dans la bouilloire .  C’est sans doute à Metz, jeune enfant sommeillant dans son berceau, que le petit Paul a commencé à appréhender le monde et ses harmonies. Mais le génie verlainien est double, selon le critique: d’un côté voué à la sensation, à la rêverie, de l’autre tourné vers l’action ou la nostalgie de l’action.
Ainsi, à l’heure où des fleurs étaient déposées devant les statues des villes sur la Place de la Concorde, où Déroulède prononçait des discours enflammés, Verlaine, dans sa chambre de l’hôpital Broussais, ranimait dans son coeur la flamme patriotique.
Claude Hecham


Ecrits par nos membres

Le graoully

C’est la bête, mi-dragon, mi-serpent, qui barrait la rue Taison, cette rue qui nous conduisait de la place Sainte-Croix à la place Saint -Jacques.

«  Dans ce désastre. Dans ce défaut. Dans ce manque….il n’y avait plus rien de charnel qui fût pur….Quand un jour cette femme naquit… »  (Charles Péguy, Le porche de la deuxième vertu, La pléiade,  p. 577)

 (C’est un  sculpteur qui parle. Il vient de réaliser le monument aux morts de la guerre de 1914-18)

Et revint ce premier novembre. Si proche de ce 11 novembre, jour de l’armistice, jour de la victoire. Y avait-il vraiment victoire là où des millions d’hommes avaient péri? Une saignée d’une telle ampleur pouvait-elle se fêter? L’Alsace-Lorraine était revenue à la France. Le retour à la terre patrie pouvait-il justifier tant de morts, tant de deuils?

Quand j’entrai au village, j’entendis très loin résonner le son d’un clairon. Je reconnus la mélodie d’un vieux chant allemand. «  Ich hat einen Kameraden, einen bessern gibt es nicht…eine Kugel kam geflogen… »  «  J’avais un camarade, il n’y en a pas de meilleur….une balle s’en vint en volant… ». La musique soudain se brisa, soit que le musicien manquât de souffle, soit que l’émotion le submergeât. Et je sus que la tonalité ultime de la fête de La Toussaint serait la tristesse.

Je gagnai directement l’église perchée à mi-pente, sur une plate-forme qui quelque vingt années auparavant avait nécessité la saignée de la colline herbeuse et boisée. Le sable du pays était  vraiment rouge et quand la pluie le mouillait et qu’un certain éclairage le vivifiait, il devenait ardent et l’excavation dans la colline ressemblait à une déchirure de feu. A présent la plaie s’était refermée. Ne restait que l’érection du nouveau sanctuaire dardant vers le ciel son bizarre clocher mi-bulbe, mi-flèche.

L’intérieur était déjà noir de monde. Je trouvai cependant refuge du côté des hommes, dans les rangées que la guerre et la rudesse du travail de guerrier avaient clairsemées. Mon regard fut vite capté par la sculpture du  chapiteau d’en face. L’office n’était pas commencé. Je pus donc contempler sans me faire remarquer la scène insolite qui s’inscrivait dans la pierre. Il s’agissait d’un animal monstrueux, mi dragon, mi serpent qui occupait tout un côté alors que le côté adjacent que je voyais moins bien mais dont je devinais malgré tout les figures représentait un homme à la tête auréolé, un saint donc, qui tenait le hideux animal en laisse avec son étole aurait-on dit. Curieuse sculpture dans un lieu aussi sacré qu’une église. Je m’adressai à mon voisin.

- Vous savez ce que représente ce chapiteau?

Mon voisin suivit mon regard, cligna des yeux, arbora une grande surprise et me dit tout bas sur un ton de confidence:
- Non! Je ne l’ai jamais regardé.

J’en étais là quand la messe commença.

« Gaudeamus omnes in domino, diem festum celebrantes sub honore sanctorum omnium Réjouissons-nous… »
Réjouissons-nous tous dans le Seigneur, en ce jour de fête où nous célébrons tous les saints… »

Je risquais un coup d’œil du côté des femmes. Le quart d’entre elles portait un crêpe noir, qui pour un mari, qui pour un fils, qui pour un frère. Beaucoup essuyaient des larmes ou les laissaient couler sur leurs joues.
Gaudeamus! De quoi pouvait-on se réjouir? Je me le demandais. Je trouvais même indécent de chanter la joie là où n’était que peine. Indécente était aussi cette hideuse bête au milieu d’un sanctuaire, effrayante et insensible. Était-elle seulement tenue en laisse? Ne risquait-elle pas à chaque instant d’inattention de son dompteur de se déchaîner? Comme la guerre qu’on croyait domptée, la der des ders? Mon voisin me poussa du coude.

- C’est le graoully, dit-il à voix très basse.

- Le quoi?

- Le graoully, un monstre qui représente le paganisme que saint Clément, le premier évêque de Metz, qui le tient en laisse, a vaincu en évangélisant la région.

- Merci!

Je compris que mon voisin, renseigné par son entourage, voulait s’en tenir là.

Moi, je continuai ma méditation intérieure. Ainsi les gens étaient assez crédules pour croire qu’un monstre pouvait être dompté par un saint. Pour dompter le monstre de la guerre, la légion des saints du ciel avait été impuissante. Mais le graoully  était sans doute un monstre intérieur à chacun, cette part de violence qui tue, qui habite l’humain, et qu’il appartient à chacun de dompter. C’est cela que le sculpteur avait essayé de dire. Le paganisme, c’était le veau d’or, l’idole de chacun, la part d’inhumanité, d’oubli de l’autre. Le graoully c’était l’autre devenant « ennemi qu’il fallait tuer », l’autre qui n’était plus perçu comme un humain, mais comme un monstre.

                  Graoully rimait un peu avec cruauté.

Marie Louise Scheidhauer, L’ex-voto, inédit



Arc en ciel

Sourire du matin
Aurore des nuages
Le soleil qui se lève

Au milieu du brouillard
De novembre frileux
Sur le monde endormi

Quand j’ouvre ma fenêtre
Eventail lumineux
Il déploie tout à coup

Grandiose et somptueux
Un splendide arc en ciel
Son salut matinal

Aussitôt dilué
Dans les flots de grisaille
De la pluie hivernale

21-11-2012


Françoise Hanus

Publications de nos membres


Partir de zéro pour relire François Mauriac


Yaryna Tarassyuk Œuvre zéro. La poétique et la problématique des premiers romans de François Mauriac (Lviv, Vydavnytstvo Lvivs’koï politekhniky, 2015, 224 p., en ukrainien)

L’œuvre de François Mauriac continue de susciter de nombreux travaux de recherche en littérature à travers toute l’Europe. La monographie de la chercheuse ukrainienne – membre active de notre association –, Yaryna Tarassyuk, en témoigne à la perfection. Celle-ci a choisi de porter son intérêt spécifiquement sur les débuts de la création littéraire mauriacienne. Car, selon elle, c’est en remontant à la source des processus de création que l’on sera en mesure de cerner au mieux et de comprendre avec assurance les conceptions artistiques et les stratégies créatives de l’écrivain.
L’originalité de cette étude, selon nous, consiste dans le fait que son auteure rejette l’approche téléologique traditionnelle qui consisterait à lire dans les premières œuvres de François Mauriac les prémices de ses grands romans. Car elle ne considère pas ses premières œuvres comme des brouillons ou comme une étape qui ne serait intéressante que dans la mesure où elle porterait et annoncerait la Grande Œuvre mauriacienne. Bien au contraire, Yaryna Tarassyuk regroupe les premiers romans de l’écrivain dans un ensemble d’œuvres qu’elle considère comme autonomes et dignes d’intérêt pour eux-mêmes. Celles-ci, en effet, comme le montre un examen attentif et soucieux de ne pas être cadré et trompé par des représentations a priori, présentent un tissu textuel dense du point de vue leur poétique et sont dotés d’une problématique qui leur est propre et relativement indépendante de l’œuvre postérieure de l’écrivain. L’analyse du roman Préséances (1921), qui constitue le texte-pivot de son paradigme, l’amène à introduire et à définir le concept d’« œuvre zéro » qui non seulement justifie la constitution et le fonctionnement de son regroupement, mais qui, aussi, fonctionne comme un opérateur interprétatif riche et productif des premiers romans de Mauriac. En effet, Yaryna Tarassyuk considère que, si l’on représente la vie artistique de Mauriac dans un schéma cartésien, ce roman, sur l’axe des coordonnées, constituerait « le point zéro » à partir duquel une nouvelle séquence de son œuvre s’élaborerait. Une telle présentation – « mathématisée », pourrait-on dire – et un tel questionnement fondent les deux thèses principales que défend l’auteure, fort à propos. Tout d’abord, le terme de « début » devient une caractéristique de chaque nouvelle section de l’œuvre mauriacienne et n’est pas, seulement, une spécificité adhérentes aux premières œuvres. Ensuite, ce point zéro met en évidence le fait que les romans de Mauriac manifestent des vecteurs divergents quant au développement de certaines thématiques qui leur sont propres (spiritualité, moralité, etc.). Ainsi, une telle problématique permet-elle de saisir finement la complexité de l’autoconstitution de l’écriture de Mauriac, de prendre en compte la recherche constante qui caractérise son chemin de penseur et d’artiste et, donc, d’éviter toute simplification comme en témoignent, trop souvent, les études qui portent sur ces œuvres que l’on qualifie, bien imprudemment, d’« immatures » ou de « jeunesse » comme on aime à dire. Ce qui présuppose, bien imprudemment, que seules les œuvres de la maturité compteraient.
Yaryna Tarassyuk procède à une exploration presque archéologique de son corpus. En effet, elle libère, strate par strate, l’écriture mauriacienne des discours interprétatifs canoniques qui, d’une part, rapprochent, et, d’autre part, éloignent le récepteur de la compréhension de certaines intonations poétiques, spirituelles et psychologiques des premières œuvres de l’écrivain. Pour cela, elle analyse avec finesse le style et la complexité des formes de vie des personnages des romans L'Enfant chargé de chaînes (1913), La Robe prétexte (1914) et La Chair et le sang (1920). Le grand mérite de cette étude, en définitive, réside – et ce n’est pas rien ! – dans le fait que son auteure nous donne une envie irrésistible de (re)lire ces œuvres et de les voir sous une autre perspective. Perspective qui diffère de celle qui domine et se répète à l’envi dans les études du roman mauriacien que nous connaissons si – trop ? – bien.

Galyna Dranenko


Ollivier, S. Les Fenians d’ Irlande, Peter Lang, Frankfurt am Main, 2015
Ollivier S., Regards sur Dostoïevski, Sciences humaines, Publibook, 2015
«  Notre objectif est d’offrir des traversées multiples, variées et contradictoires de l’œuvre. Dostoïevski ne se laisse pas définir. A la multiplicité des voix qui se parlent dans son œuvre correspond la multiplicité  des regards qui se posent sur elle. »

Regroupés selon deux grands axes, les textes de S. Ollivier embrassent et la grandeur et la pérennité de l’œuvre de Dostoïevski… et cela sans jamais les épuiser, comme pour mieux nous inviter à  (re)découvrir ce romancier et à juger de la richesse de ses textes. Ainsi, c’est à un parcours thématique (l’argent, la mort, Dieu) mais aussi à une approche de toute l’influence de l’auteur russe  sur la production de la pensée et de la littérature (Berberova, Purcell, Claudel, etc.) que nous convie la critique au fil de ce recueil d’articles qui fait de la transversalité- et donc d’une certaine forme de liberté- un moyen pertinent de s’approprier cette œuvre majeure.

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